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Histoire de Judas

  • Cinéma
  • 4 sur 5 étoiles
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Histoire de Judas
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Time Out dit

4 sur 5 étoiles

Avec ‘Les Chants de Mandrin’(2012) consacré aux héritiers du célèbre contrebandier, Rabah Ameur-Zaïmeche s'écartait de l'exploration de la banlieue et des relations franco-algériennes qui l'ont fait connaître. ‘Histoire de Judas’ est le prolongement de cette démarche : avec l'économie et la liberté qui caractérisent tous ses films depuis ‘Wesh wesh, qu'est-ce qui se passe ?’ (2001), le réalisateur s'approprie l'histoire de Judas Iscariote en tournant résolument le dos aux évangiles canoniques. Dès le premier plan, superbe, où l'on voit Judas avancer tête basse et pas résolu vers une cabane en pierre sèche où repose un Jésus (Nabil Djedouani) affaibli après une longue ascèse, le parti pris de Rabah Ameur-Zaïmeche est clair. Dans le rôle de l'apôtre éponyme le réalisateur campe un Judas doux et lumineux, entièrement dévoué à son maître.

Après de courtes scènes de retrouvailles, les deux hommes et quelques fidèles gagnent Jérusalem envahie par l'armée romaine. Dès lors, le Judas qui, quelques minutes plus tôt, portait le prophète sur son dos se dissout. Il devient une présence-absence, un gardien souvent silencieux de la parole de Jésus. Un regard attentif et discret. L'armée romaine est présentée comme la seule responsable de la mort de Jésus. Mais Rabah Ameur-Zaïmeche refuse la facilité qui aurait consisté à réhabiliter une figure pour en diaboliser une autre. Incarné avec une belle sensibilité par Régis Laroche, son Ponce Pilate est un gouverneur de province fatigué qui crucifie uniquement pour répondre au cahier des charges que lui impose son rôle.

En un monologue très théâtral – Régis Laroche est d'ailleurs beaucoup plus familier des planches que du grand écran –, l'homme quitte un moment son étiquette politique pour réfléchir sur la mort. En stoïcien, il déclare par exemple que « la seule loi est de savoir souffrir ce qui est inévitable » et que « la mémoire du sage et la mémoire du fou périssent de la même manière ». Jésus lui-même ne condamne pas celui qui le mène sur la croix : Nabil Djedouani conserve en ce moment tragique sa grâce tout en retenue, émaillée de quelques paroles qui questionnent sans jamais accuser. Son Jésus n'est pas vraiment d'hier ; il n'est pas non plus tout à fait d'aujourd'hui. Avec l'ensemble des comédiens – pour la plupart non professionnels, à l'habitude du réalisateur de ‘Bled number one’(2005) –, il oscille avec élégance entre les deux.

Comme ‘Les Chants de Mandrin’, ‘Histoire de Judas’ est un film atemporel en costumes. Un paradoxe rempli d'inventions et d'anachronismes assumés au premier rang desquels, le langage. Si Rabah Ameur-Zaïmeche évite de mettre dans la bouche de ses personnages bibliques les « putain » et les « merde » qu'on pouvait entendre dans celle du marquis de Levezin (Jacques Nolot), le français très simple, presque neutre, parlé par tous est en effet l'élément central de l'esthétique hybride du réalisateur. Plus sobre et contemplative, plus maîtrisé aussi que dans ‘Les Chants de Mandrin’, ce mélange d'époques rejoint les trois premiers films du réalisateur d'une manière inattendue.

Par la géographie, d'abord. Filmé dans des villages du désert algérien, ‘Histoire de Judas’ renoue avec une terre que Rabah Ameur-Zaïmeche n'avait filmée que dans son deuxième long métrage, ‘Bled number one’. Des roches à perte de vue et quelques colonnes antiques tiennent lieu aux protagonistes de théâtre à ciel ouvert. Théâtre des corps, de la sensualité autant que de la parole. Les longs plans resserrés sur des visages, la scène de bain qui montre Jésus en train de laver les pieds des apôtres ou encore celle du jugement de Bethsabée font penser au Pasolini de ‘L'Évangile selon Saint Matthieu’ (1964) et à son Judas incapable d'échapper à un destin tragique. Judas et les siens sont traités dans ce qu'ils ont de plus actuels : leur sang et leur chair. C'est ce qui fait la beauté de ce film humaniste qui appelle à la réconciliation des communautés.

Écrit par Anaïs Heluin
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