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J'avancerai vers toi avec les yeux d'un sourd

  • Cinéma
  • 4 sur 5 étoiles
  • Recommandé
j'avancerai vers toi avec les yeux d'un sourd - Laetitia Carton
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Time Out dit

4 sur 5 étoiles

Un beau documentaire, intime et politique, qui nous fait découvrir avec tendresse et intelligence le monde méconnu des sourds.

Après ‘Edmond, un portrait de Baudoin’, étonnant documentaire sorti en septembre dernier sur l’un des plus grands auteurs français de bandes dessinées (et pourtant, aussi, l’un des plus discrets), la réalisatrice Laetitia Carton revient en salles avec ce film précieux, inattendu et singulier, ‘J’avancerai vers toi avec les yeux d’un sourd’.

Sur une tonalité toujours très personnelle, la jeune documentariste adresse ce nouveau film comme une lettre à son ami Vincent, mort tragiquement dix ans plus tôt. Atteint de surdité, Vincent est celui qui, en répondant à une petite annonce de la réalisatrice, l’initia jadis à la langue des signes. Aussi, en forme d’hommage intime, doux, sans grandiloquence, Laetitia Carton promène-t-elle ici sa caméra à travers le monde des sourds, univers méconnu qu’elle nous fait découvrir avec tendresse, humour et, surtout, avec son regard d’une chaleureuse humanité.

Retraçant le parcours de son ami défunt, en partant à la rencontre de ses amis, de sa famille, de ses proches, mais aussi des initiatives d’autres sourds, Laetitia Carton part de l’intime, du particulier, de l’émotion profonde. Toutefois, elle réussit bientôt à faire de son récit, de ses souvenirs, de ses rencontres et de ses doutes, une profonde interrogation politique. Les Sourds (que la cinéaste écrit avec une majuscule, comme pour désigner les habitants d’un pays) ont en effet une culture, une langue ; mais ils sont aussi une « minorité ». Et c’est au fond cet être-minoritaire que son documentaire questionne. Avec cette perspective, juste et profonde, que c’est toujours un environnement social, un rapport de forces, qui induit cette situation. Qui ne va, autrement dit, absolument pas de soi.

A cet égard, la place des Sourds paraît particulièrement éloquente, puisque c’est leur langage-même, celui des signes, défavorisé et incompris par les institutions médicales, professionnelles ou sociales, qui leur tient lieu d’étendard. Une langue qu'on dit muette, mais d’une expressivité pourtant remarquable, dont Laetitia Carton partage ici avec nous l’évidente beauté chorégrahique, corporelle, généralement méconnue (à travers, notamment, une méthode de sous-titrage inventive et ludique).

L’émotion et le rire, la tendresse et la mélancolie, l’envie d’en découdre et la grâce des gestes… Par touches légères, délicates, la réalisatrice nous fait pénétrer dans un univers riche de sa différence, malgré l’isolement auquel les institutions confinent généralement ses membres. D’ailleurs, on retrouve ici l’attention portée par Laetitia Carton au corps comme vecteur cinématographique de l’émotion – qui faisait déjà une grande part de la force de son portait de Baudoin. ‘J’avancerai vers toi avec les yeux d’un sourd’ n’est donc pas seulement un très beau titre. C’est aussi un très beau film. Et la confirmation du talent d’une réalisatrice qu’on ne manquera pas de suivre.

Écrit par
Alexandre Prouvèze
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