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La Dame dans l'auto avec des lunettes et un fusil

  • Cinéma
  • 3 sur 5 étoiles
  • Recommandé
la dame dans l'auto
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Time Out dit

3 sur 5 étoiles

On avait a priori tout pour être curieux de 'La Dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil'. A commencer par son titre, qui paraît évoquer quelque chose entre un recueil de Dan Fante ('Bons baisers de la grosse barmaid') et un western geek. Aussi, le film s'inspire d'un polar des années soixante signé Sébastien Japrisot, ce qui semble bon signe. Enfin, on trouve à la réalisation Joann Sfar, pour lequel on éprouve une certaine sympathie immédiate, ne serait-ce que parce qu'il aime Gainsbourg – comme tout le monde ? – et parce que ses BD ('Pacsin', 'Klezmer', 'Le Chat du rabbin'…) sont plutôt cool. 

Seulement, si Sfar fait ainsi preuve, en tant qu'auteur de bande dessinée, d'un sens de la narration personnel et fécond, c'est parce que son trait, ses dessins semblent pleinement libres d'épouser sa fantaisie, à un rythme jouissif, d'une désinvolture assez charmante. D’ailleurs, son talent le plus évident (cet art de la rapidité et du détour narratif) paraît intrinsèquement lié à la pratique même du dessin, à son aspect artisanal et solitaire. Mais le cinéma, c'est tout autre chose. Car à de rares exceptions près – dont Chris Marker serait le roi, le pape ou un immense sommet – le cinéma, c'est beaucoup plus lourd. Hélas. 

Venons-en donc au fait : au milieu des années 1960, Dany (Freya Mavor), jeune secrétaire mal dans sa peau – mais qui, en fait, est une énorme bombe – se retrouve, par un intriguant concours de circonstances, au volant de la superbe voiture de son patron (Benjamin Biolay), avec lequel elle coucherait bien, mais qui est déjà marié avec l'une de ses amies (Stacy Martin, dont il paraît difficile de ne pas retenir le nom depuis le premier volume de 'Nymphomaniac'). Et là, sur un coup de tête, au volant de cette Ford Thunderbird rutilante, Dany se dit qu'elle n'a qu'à partir voir la mer, empruntant tranquillement la bagnole pour un week-end dans le Sud avant de la rendre (pense-t-elle) discrètement. Sauf qu'on est dans un polar assez pervers et que les choses vont bientôt mal tourner. 

Enfin, ça, c'est l'histoire du film. Parce qu'en fait, du suspense, il n'y en a pas franchement beaucoup, étant donné qu'on ne comprend pas grand-chose au récit, jusqu'à un dénouement trop rapide qui laisse un arrière-goût d'insatisfaction ou de bâclage. Mais qu'importe, puisque ce qui semble intéresser Sfar, c'est avant tout de créer un cinéma charnel, sensoriel et sensuel. Il n'y a qu'à voir son casting qui transpire le sexe à des kilomètres – et oui, oui, même Biolay, avec son air je-m'en-foutiste, sa gourmandise blasée et son élocution digne de feu Alain de Greef. Surtout, il y a cette interprète principale, Freya Mavor, que la caméra prend dans tous les sens et sous toutes les coutures. Ses lèvres, ses yeux, ses bras, ses cuisses, ses seins, ses pieds, son cul. Parfois, on a presque l'impression que la caméra lui demande de se pencher encore davantage. Tout cela enrobé de couleurs chaudes, d'une ambiance lorgnant vers un mélange de David Lynch et 'Madmen', ainsi que d'une bande-son sertie de réjouissantes références musicales – dont l'évident mais tellement beau 'After Laughter' de Wendy Renée. 

D'une certaine manière, il y aurait presque un doigt de 'Spring Breakers' dans 'La Dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil' : dans cette façon de faire semblant de raconter une histoire, pour, en fait, jouir simplement des images, des corps, de la musique… Pourtant, si le charme du film d'Harmony Korine tenait à son côté délibérément excessif, entre conte de fées sous MDMA et esthétique bimbo-crado, celui de Joann Sfar apparaît en définitive plus jouisseur que vraiment jouissif. Là où ça bloque, hasardons que c'est au niveau du genre adopté ici par Sfar. C'est-à-dire du film noir, type de récit particulièrement défini pour perdre le spectateur (voir 'Le Grand Sommeil' ou n'importe quel Hitchcock), afin de parler de l'inconscient, de névroses intimes ou collectives, de la société, de ses dessous, de ses tripes, de déviances ou d'injustices. Ce qui vaut d'ailleurs autant pour le cinéma que pour la littérature – et là, voir Ellroy, Manchette… A cet égard, ce que nous propose 'La Dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil' est donc agréable, ludique, sexy. Et semble s'en contenter, de manière un peu roublarde. Certes, c'est rafraîchissant. Mais ça donne surtout envie de se faire un gros cycle Chabrol.

Écrit par Alexandre Prouvèze
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