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La Isla mínima

  • Cinéma
  • 4 sur 5 étoiles
  • Recommandé
La isla mínima
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Time Out dit

4 sur 5 étoiles

Auréolé de dix Goya (l’équivalent espagnol des Césars), dont ceux du Meilleur réalisateur et du Meilleur scénario, ‘La Isla minima’ n’est pas sans rappeler, assez immédiatement, la première saison de ‘True Detective’ : au début des années 1980, deux flics aux caractères opposés – l’un grande gueule, l’autre mystérieusement taciturne – enquêtent sur des assassinats d’adolescentes en plein milieu des marécages. Et l’ambiance y est, en effet, poisseuse et inquiétante, typique des « polars du bayou » à l’américaine ; sauf qu’ici, un petit village d’Andalousie a remplacé les habituels paysages louisianais.

Toutefois, derrière ses airs de film noir sous un soleil de plomb, ‘La Isla minima’ traite en filigrane – et de plus en plus, à mesure que l’intrigue progresse – d’un autre thème, plus sombre encore : le refoulement historique et les fractures enfouies de l’Espagne post-franquiste. Ah oui, là, c'est plus sérieux, d’un coup. Car ce que le long métrage d’Alberto Rodríguez tient à mettre en avant, en marge de son enquête et de son inscription dans le cinéma de genre, est bien la question de la rupture persistante, au sein même du peuple espagnol et de son administration (en l’occurrence, policière et militaire), entre démocrates et anciens partisans de Franco.

Aussi ‘La Isla minima’ apparaît comme un film à double fond, jouant sur au moins deux registres hétérogènes. Celui, d’une part, du suspense typique du thriller – avec, notamment, une scène de course-poursuite nocturne angoissante à souhait. Et, de l’autre côté, celui d’une réflexion sur le passé récent de l’Espagne et sur les fantômes de l’extrême droite européenne. D’une certaine façon, on pourrait alors se dire que le long métrage cherche à traiter de l’inconscient collectif national et qu’on aurait ainsi affaire à un film de genre assez solide (en dépit d’une réalisation un peu trop hachée, d’un montage trop rapide, manquant parfois de confiance en lui-même), doublé d’un sous-texte historique à destination du peuple espagnol. Mais il y a, en fait, peut-être davantage.

En effet, à l’heure où l’Europe fait preuve d’une inquiétante asthénie face aux menaces, rampantes mais bien réelles, qui la secouent en mêlant nationalismes résurgents, replis identitaires et dénis de démocratie institutionnalisés (coucou, Wolfgang Schaüble !), ce coup de rétroviseur sur le passé proche et autoritaire de l’Espagne ne manque pas de rappeler aussi à chacun l’Histoire ultra-violente de l’Europe. Alors, ‘La Isla minima’ paraît sonner comme une piqûre de rappel, inattendue mais tristement actuelle. Car le politique, au fond, se retrouve partout. Même dans un polar. Or, comme disait Michel Chartrand (ou peut-être était-ce Rockin’Squat ?) : « Si tu ne t'occupes pas de politique, la politique s'occupe de toi. » A bon entendeur…

Écrit par Alexandre Prouvèze
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