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Mommy

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Mommy
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Time Out dit

Etonnant tout de même que deux films aussi diamétralement opposés que ‘Mommy’ de Xavier Dolan et ‘Adieu au langage’ de Jean-Luc Godard fussent récompensés d’un même prix du Jury (ex-aequo), lors du dernier Festival de Cannes. En même temps, c’est un beau symbole, au fond, de l’inanité – ou disons, plus sobrement, de la relativité – de toute hiérarchisation stricte du cinéma. En une phrase lapidaire, Godard avait d’ailleurs résumé la situation lors d’une interview donnée au Monde le 27 mai dernier, en déclarant : « Ils ont réuni un vieux metteur en scène qui fait un jeune film avec un jeune metteur en scène qui fait un film ancien. »

En effet, ‘Mommy’ a beau avoir les faveurs d’une presse exceptionnellement unanime (des Cahiers du cinéma à Voici, des Inrocks à Télé 7 Jours en passant par Gala), il n’en reste pas moins, sur le fond, un téléfilm de luxe épuisant d’hystérie, porté par une esthétique de la surenchère aussi grandiloquente que profondément vaine. Certes, Dolan est un cinéaste précoce, et une grande gueule faisant preuve d’une force de travail impressionnante. Mais il n’est ni Welles, ni Fassbinder, ni même Garrel sous LSD. Et les gros sabots de sa pseudo-poésie tire-larme et tape-à-l’œil évoquent davantage l’art pompier et le rococo qu’une quelconque modernité artistique. A la limite, on pourrait dire de ‘Mommy’ qu’il s’agit d’une pure œuvre postmoderne ; c’est-à-dire assez hypocritement néoclassique.

Dans un futur proche et alternatif, qui a le mérite – ou la facilité – de simplifier un scénario déjà bien léger, Steve (Antoine-Olivier Pilon), jeune homme impulsif atteint de troubles de déficit de l’attention et d’hyperactivité, vit un quotidien des plus orageux avec sa mère, Diane (Anne Dorval), quadra arrogante et fantasque aux airs d’ado attardée. Bientôt, le couple mère-fils – qui se voudrait sorti d’un Cassavetes mais évoque plutôt les candidats d’une émission de télé-réalité – se voit rejoint par une voisine, Kyla (Suzanne Clément), ancienne prof de collège devenue bègue à la suite d'un mystérieux traumatisme, pour former un trio héroïque et cabossé au bonheur précaire, baigné de couleurs eighties et de Céline Dion. Petit spoiler : à un moment, ils sont tellement heureux qu’ils font un selfie.

De toute façon, son scénario, Dolan semble s’en foutre assez cordialement, de même que de ses dialogues, pot-pourri d’insultes et torrent de clichés éructés avec la subtilité d’un Axl Rose qui aurait bouffé trop épicé. Indubitablement, les trois acteurs mouillent leurs maillots, mais hélas, les décibels n’ont jamais suffi à rendre un jeu convaincant, ou profonds des dialogues insipides. Surtout, ce que Dolan cherche manifestement à prouver, à nous rentrer dans le crâne avec ce ‘Mommy’ qui ne doute pas un instant de lui-même, c’est sa maestria de « jeune prodige » en termes de réalisation. Aussi en fait-il des tonnes, au point de rendre son film tout simplement suffoquant de gadgets cosmétiques, tartinant ses séquences d’effets visuels bouffis – dont des ralentis d’une incroyable vulgarité – et de musiques d’une complaisante banalité, d’Oasis à Andrea Bocelli en passant par l’affreuse Céline susnommée. Franchement, c'est éprouvant.

En outre, inutile d’évoquer la fausse originalité du format carré de l’image (qui s’élargit pour quelques séquences de joie, technique d’un premier degré à la naïveté confondante) : Xavier Dolan n’en fait quasiment rien, se bornant à une superficielle série de plans serrés – là où un Lisandro Alsonso, par exemple, réussissait avec ‘Jauja’ à faire de ce format une réflexion sur le cinéma primitif et la profondeur de champ. Traitant les émotions comme la pornographie traite le sexe, ou la télévision l’actualité, ‘Mommy’ se révèle dès les premières minutes d’un sentimentalisme odieux, autoritaire, qui se croit tout permis et n’hésite pas à violenter gratuitement le spectateur. Et ça continue crescendo pendant plus de deux heures. En somme, là où le précédent film de Dolan, 'Tom à la ferme', se révélait relativement humble et mûr, ‘Mommy’ est un film à l’image de son jeune héros : hyperactif, égocentrique, agressif et castagneur. Ce qui ressemble presque à la caricature d’un ancien président de la République – pas étonnant, au fond, que les médias y trouvent leur compte.

Écrit par Alexandre Prouvèze

Détails de la sortie

  • Noté:15
  • Date de sortie:vendredi 20 mars 2015
  • Durée:133 mins

Crédits

  • Réalisateur:Xavier Dolan
  • Scénariste:Xavier Dolan
  • Acteurs:
    • Anne Dorval
    • Suzanne Clément
    • Antoine-Olivier Pilon
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