Recevez Time Out dans votre boite mail

Pasolini

  • Cinéma
  • 4 sur 5 étoiles
  • Recommandé
Pasolini - Willem Dafoe - Abel Ferrara
Publicité

Time Out dit

4 sur 5 étoiles

Voici enfin l’un des projets les plus attendus de 2014 ; non sans une certaine méfiance, d’ailleurs, vu le précédent long métrage d’Abel Ferrara, ‘Welcome to New York’, sulfureux navet autour de l’affaire DSK, dont on se serait plutôt bien passé. Surtout, le synopsis de ce ‘Pasolini’ pouvait lui-même laisser dubitatif, centré sur le dernier jour du cinéaste italien, jusqu’à sa mort ultraviolente sur la plage d’Ostie, près de Rome : la crainte d’un film oscillant entre hagiographie et racolage planait donc fort sur ce ‘Pasolini’-là.

Mais c’est finalement avec un immense respect et beaucoup d’humilité que Ferrara dresse le portrait crépusculaire de son réalisateur-modèle, ne cherchant jamais à le figer, à en définir une identité stable, mais plutôt à en présenter des facettes éclatées, bribes scintillantes d’une personnalité (é)mouvante, multiple, en quête permanente de l’autre en soi-même. Lecture, écriture, partie de football avec des gamins des rues, dîner à la bonne franquette, entretien d’une densité assez magistrale avec un journaliste ou recherche d’un garçon prostitué (à la manière du personnage de Sylvana Mangano dans ‘Théorème’) : les dernières heures de Pasolini s’écoulent ainsi, entre lyrisme discret, inquiétude sourde et mélancolie – bref, sans l’habituelle lourdeur symbolique du tout-venant des biopics.

Surtout, ‘Pasolini’ fait alterner ces scènes biographiques, à la fois attendues et réussies, avec des séquences adaptées du dernier scénario de PPP, ‘Porno-Teo-Kolossal’ – qui devait logiquement succéder à ‘Salò ou les 120 Journées de Sodome’. Or, l’une des grandes idées de Ferrara est d’avoir sollicité, pour ce film dans le film, Ninetto Davoli, l’acteur-fétiche de Pasolini, qui apparaît également dans les scènes du quotidien sous les traits de Riccardo Scamarcio. Cette rêverie autour de l’ultime projet du réalisateur italien et la présence de Davoli permettent alors au film de faire émerger de manière insistante le thème du double, qui lui confère une puissance d’évocation aussi émouvante qu’inattendue.

Aussi cette mise en abyme permet-elle à Ferrara d’établir une distance et une déférence bienvenues à l’égard de son maître, de telle sorte que la remarquable interprétation de Willem Dafoe puisse finalement relever de l’interprétation libre, personnelle, plutôt que du mimétisme bas-de-plafond. Car si Dafoe ressemble effectivement de façon troublante à Pasolini sur le plan physique, il ne s’exprime pas moins en Anglais, avec un phrasé méditatif et spectral, sans rapport avec celui, nerveux et parfois torrentiel, de son modèle. Mais c’est précisément là que ‘Pasolini’ réussit à nous emporter, livrant une vision singulière, subjective et non totalitaire, du réalisateur. Au bout du compte, ‘Pasolini’ surprend par son minimalisme baroque et parvient à ressusciter habilement la figure du réalisateur révolté de ‘L’Evangile selon saint Matthieu’, tout en permettant à Ferrara lui-même de renaître de ses cendres en tant que cinéaste, après pas mal d’années de vaches maigres. Une double réussite, en somme.

Écrit par Alexandre Prouvèze
Publicité
Vous aimerez aussi