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Everyone's going to die

Interview des Jones

'Everyone's Going to Die', en salles le 9 juillet

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Duo de réalisateurs britanniques venus du vidéo-clip, les Jones livrent 'Everyone's Going to Die', un premier film léger, touchant, à l'humour décalé et doux-amer. Rencontre.

Lire aussi notre critique du film.

Time Out Paris : L'une des réussites de 'Everyone's Going to Die' est la façon dont les acteurs parviennent à  apporter un grand réalisme à l'humour souvent absurde du script, ce qui confère au film une tonalité assez originale. Cet équilibre, qui ressemble en fait assez à la vie, mélange d'habitudes et d'inattendu, de pensée rationnelle débordée par des coups de folie, de prosaïsme et de poésie vécus, est-il déjà présent dans le script ? Ou vient-il de votre travail avec les acteurs, d'improvisations de leur part ?

Les Jones : Hélas, rien n'a pu être improvisé. Toutes les répliques étaient écrites. Nous aimons beaucoup l'improvisation, mais nous n'avions tout simplement pas le temps de travailler ainsi. D'autant que c'était le premier rôle de Rob au cinéma : nous avons donc préféré lui baliser la voie. En ce qui concerne le cocktail entre absurde et réalisme, c'était vraiment l'une des idées à la base du film : que se passerait-il si l'on prenait deux personnages de films de genre (elle, qui semble tout droit sortie d'une comédie romantique, et lui d'un polar) et qu'on les plongeait dans la complexité du réel ? On trouvait cette idée amusante et motivante. Et comme vous semblez le dire, la réalité est souvent plus absurde que n'importe quelle fiction. Il nous paraissait donc plus intéressant de penser ces personnages comme des êtres vivants, plutôt que comme des personnages limités par des contraintes de tons ou de styles. Par exemple, nous aimions bien l'idée qu'on puisse vous refiler une arme pour descendre quelqu'un et vous retrouver, à la place, à devoir répéter une pièce de théâtre débile avec votre nièce.

Chacun de vos acteurs principaux est musicien. Et la musique - en particulier celle du compositeur Charlie Simpson - revêt une grande importance dans le film, comme illustration ou contrepoint aux sentiments des personnages. Comment avez-vous travaillé cet aspect musical ?

Rob serait vraiment heureux que vous évoquiez sa musique. C'est un excellent pianiste. Il a d'ailleurs composé 'Ray's Theme' pour le film, au cours du tournage, même s'il n'est pas musicien professionnel. En revanche, Nora l'est - ainsi que Charlie, évidemment. Dès le début, nous savions que la musique aurait une énorme importance, quant à la manière dont elle interagit avec l'image. Il y a pour nous une dimension magique dans la rencontre de la musique et du visuel, qui représente davantage que leur simple somme. Pendant le tournage, nous avions donné à chaque membre de l'équipe un CD intitulé 'Everyone's Going to Listen' et dont de nombreux titres se retrouvent dans le film. Il s'agissait de créer une atmosphère générale, un état émotionnel commun à travers elle. Ceci dit, nous n'avons construit aucune des scènes en fonction de la musique ; c'est plutôt elle qui est venue se greffer sur certaines séquences, tout en inspirant un climat général.

La façon dont le film progresse, à travers des détails, par touches assez légères, peut faire penser au cinéma new-yorkais, que ce soit à certains films de Cassavetes ou, plus encore, à ceux de Sofia Coppola. Aviez-vous des réalisateurs ou des références précises en tête, en réalisant 'Everyone's Going to Die' ?

Il est toujours difficile de répondre à ce genre de questions, vu qu'on est toujours influencé par ce que l'on fait, ce qu'on voit ou entend, par les personnes qu'on rencontre, que ce soit dans la vie quotidienne ou dans la sphère de l'art. Et encore, lorsque les influences sont artistiques, c'est toujours de façon oblique, étrange, dont les liens sont difficiles à établir. Par exemple, on peut admirer une œuvre pour sa singularité, que ce soit une sculpture ou un projet photographique autour des anciens états soviétiques. Mais fondamentalement, nous n'avions pas de modèle précis pour le film, hormis le fait que nous étions davantage attirés par le cinéma indépendant américain, plutôt que par les films britanniques d'aujourd'hui, quelle que soit d'ailleurs leur qualité. Notre idée était de faire en sorte que notre film soit à la fois drôle et sérieux, de mêler l'humour au drame - ce qu'on ne voit pas fréquemment dans le cinéma britannique, même si les choses semblent évoluer depuis quelque temps. Concernant Cassavetes et Sofia Coppola, ils représentent de bons exemples de ce cinéma indé américain que nous apprécions. Coppola, en particulier, nous est nécessairement venue en tête au moment de l'écriture, à cause de 'Lost in Translation' et de sa dynamique portée, comme dans 'Everyone's Going to Die', par la relation entre une jeune femme et un type plus vieux. Mais nous avons surtout évoqué son film pour tenter de nous en démarquer autant que possible, et éviter de tomber dans le même genre d'histoire. En revanche, l'une de nos influences était un petit film américain, intitulé 'In Search of a Midnight Kiss', qui nous a montré ce qu'il était possible de faire avec un budget très limité, de bons acteurs et un script solide. Cela a pu être une bonne source d'inspiration, même si ce film reste très différent du nôtre.

Les sentiments de Mélanie et Ray évoluent en permanence, mais n'atteignent jamais de point culminant : ils semblent plutôt constituer un flux émotionnel, entre attraction, amitié, désir... Au fond, la beauté de leur relation tient au fait que le film évite les moments attendus de la passion sentimentale, amoureuse ou sexuelle. Aviez-vous cela à l'esprit dès le stade de l'écriture du film ?

Oui, c'était pour nous l'un des points essentiels du film : il ne fallait pas que cela devienne physique entre eux. Et encore moins permanent. Nous voulions capter ces moments de poésie où, pour quelque raison que ce soit, vous rencontrez quelqu'un au moment exact où vos désirs coïncident. Et vous partagez ces sentiments, mais ils ne représentent pas de l'amour au sens habituel. C'est plutôt une question d'alchimie, dont le moment, le contexte, représentent l'un des principaux aspects. Hors du contexte, la magie s'évapore. D'un côté, il s'agissait d'être fidèle à la réalité, hors des conventions habituelles. Et, en même temps, de plonger ces personnages dans des situations drôles, presque surréelles. Si bien que tous deux semblent désaccordés par rapport au monde qui les entoure.

Comment travaillez-vous en tant que duo ? Pensez-vous qu'il est plus facile de réaliser un film à deux, comme ce peut être le cas pour les frères Coen ou les Dardenne ?

L'un de nous deux écrit, l'autre fait le montage, et nous nous occupons ensemble de la mise en scène. Mais nous discutons ensemble en permanence du processus. Travailler à deux est une expérience très agréable et enrichissante. Il convient juste de trouver un partenaire avec lequel on partage les mêmes goûts, et pour lequel on ait suffisamment de respect pour pouvoir lui faire confiance. Les Dardenne et les Coen sont en effet de très bons exemples. Mais pour chaque duo, nous pensons que c'est un mouvement qui apparaît de façon très simple et naturelle.

Vous avez produit ce film avec un budget très limité. Comment cela a-t-il affecté sa réalisation ? Pensez-vous que les limites (y compris financières) puissent stimuler la créativité ? Ou auriez-vous des conseils à donner à de jeunes cinéastes fauchés ?

C'est sûr : avoir des limites pousse à rechercher des stratégies créatives. Et tout cinéaste, de toute façon, se trouve à devoir faire face à tel ou tel type de limitations. Le seul véritable problème, c'est de manquer de budget, ce qui signifie, dans la majeure partie des cas, manquer du temps nécessaire à la bonne tenue d'un projet. Parfois, il faut savoir faire avec les moyens du bord et continuer à avancer, même si l'on n'a pas réussi à mettre en boîte ce que l'on espérait. Travailler avec un petit budget comme le nôtre, de moins de 70 000 €, signifie qu'on avait en permanence le stress de ne pouvoir boucler le film. Cela pousse à faire des choix parfois drastiques, aussi espérons-nous quand même disposer de plus de souplesse pour notre prochain film. En général, il est difficile de donner des conseils à d'apprentis réalisateurs puisque tout dépend de leurs démarches spécifiques. Cela dit, nous mettrions au moins en avant deux points essentiels. Premièrement, lancez-vous. C'est hallucinant combien de gens disent qu'ils aimeraient réaliser un film, mais attendent les circonstances idéales, ou que quelqu'un leur en donne l'opportunité. Commencez donc par vous demander de quel budget vous disposez. A priori, ce n'est pas une idée géniale de vouloir raconter une bataille intergalactique avec un budget de 1 000 €. Mais peut-être que l'histoire d'un type bloqué dans un cercueil pourrait marcher pour ce prix-là. Pour nous, réaliser un film, c'est réussir à mettre en adéquation une histoire, un budget et un ton. Deuxième conseil : faites-vous confiance, mais sans craindre de vous remettre en question. Autrement dit, il faut parvenir à trouver l'équilibre entre les décisions que vous devez prendre, ce que vous avez en tête, sans croire non plus que vous avez la science infuse. Parfois vos idées seront bonnes, parfois elles seront à chier. Ça arrive à tout le monde d'avoir des idées pourries. A vrai dire, notre devise pour 'Everyone's Going to Die' était : « Ne faisons pas un film de merde. » Mais au fond, ce n'est pas à nous d'en juger.

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