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Avec Aline, la pop française s'est fait un prénom

Écrit par
Emmanuel Chirache
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La pop française, un défi impossible, presque un oxymore ? En France, la légende veut qu'on fasse des chansons et que la pop soit anglo-saxonne, une idée reçue à laquelle Aline apporte un démenti aussi formel que brillant. Avec 'Regarde le ciel', le groupe sortait en 2013 l'un des meilleurs albums du genre, une bluette faussement adolescente sur fond de guitares claires et smithiennes, une ode à la pop mais retravaillée par les années 1980, comme Yves Chaland réactualisait la ligne claire d'Hergé avec son trait féroce à la même époque. Un festival de tubes, aussi, chantés en français. Aujourd'hui, on a crié pour qu'ils reviennent, et Aline sort un nouveau disque, toujours aussi génial. Entretien dans un bar parisien avec Romain, le chanteur-guitariste, et Arnaud, maître ès guitares.

Time Out Paris : le titre du disque, 'La Vie électrique', est un peu trompeur : le disque n’est pas si électrique que ça d’un point de vue des guitares.

Arnaud : Oui, on a un peu calmé les grattes et mis les synthés plus en avant.

Romain : On voulait faire quelque chose de plus atmosphérique, de plus allongé, de plus horizontal que le premier. J’ai essayé de varier le chant aussi, de ne pas être toujours sur le même registre. Certaines chansons sont plus murmurées, d’autres sont carrément parlées. Surtout, j'ai voulu chanter dans ma tonalité, pour éviter d’être trop haut ou trop bas. On a fait gaffe pour qu’il n’y ait aucun souci sur scène.

Arnaud : Même en studio, ce petit truc nous a permis d’enregistrer la voix plus vite.

Sur le disque, la chanson "Promis, juré, craché" évoque la lassitude de jouer de la pop, de retrouver les mêmes notes indéfiniment, ça vous est arrivé d'éprouver ce sentiment ?

Romain : Oui, il y a des coups de mou, des moments où tu doutes, tu traînes un peu la patte.

Arnaud : C’est plus de l’angoisse sur l’avenir que de la lassitude, parce que personnellement je ne me lasse pas de jouer, de faire des concerts…

Romain : Ca dépend, parce que c’est vrai que ça m’arrive en composant de me dire : « Putain, ces trois accords, ça fait quatorze millions de fois que je pars dessus », au bout d'un moment, tu aimerais trouver d’autres plans… Ce morceau, j’avais juste l’instru, je me suis dit : « C’est très entendu, cette suite d'accords... Tiens, et si j’en parlais ? » Du coup, ça donne un résultat paradoxal, parce que la musique va à l’inverse du sens des paroles, « Je n’en peux plus, j’en ai marre du son des guitares », alors que le morceau est jeté, punk, entre Ramones et Plastic Bertrand. J’assume la façon de chanter à la "Ca plane pour moi".

Et cette angoisse vis-à-vis de l’avenir qu’on retrouve dans la chanson, c'est aussi autobiographique ?

Arnaud : Oui, c’est lié à l’âge aussi, on n’a plus 20 ans, on est moins insouciants. On est proches de la quarantaine, nos problématiques sont différentes, certains d’entre nous ont des gamins.

Romain : On a beaucoup entendu nos proches et notre famille nous dire : « Bon allez, il faut penser à trouver un boulot sérieux quand même. » On l’entend moins maintenant, parce qu’ils voient qu’on fait quelque chose de nos vies, mais quand tu es artiste et que tu galères, tu l’entends tout le temps.

Arnaud : On galère toujours un petit peu, quand même.

Romain : Dans ma famille, ils sont un peu rassurés, ils ne connaissent pas la difficulté du milieu musical, ils ne voient que les couv de magazine, les articles, pour eux c’est super.

Arnaud : On a des copains qui pensent qu’on a du fric et qu’on est riches !



Romain, au niveau des paroles, tu t’es davantage lâché, j'ai l'impression. Tu as écrit cette chanson sur la lassitude de la pop, et puis dans "Les Mains vides", tu te mets à la place d’une femme...

Romain : Oui, j’ai voulu varier les thématiques, c’est moins autobiographique, même si dans un coin de la chanson, il y a toujours une part de moi-même. C’est plus caché, moins évident. Les morceaux peuvent s’écouter séparément, sans fil conducteur, alors que c’était plus le cas sur le premier album. A l’époque, j’en avais gros sur la patate et il fallait que ça sorte comme ça. Alors que là, j'ai testé des choses, avec 'Avenue des armées', par exemple. J’aime bien l’histoire et la guerre de 1914, or l'année dernière on voyait beaucoup de documentaires sur le sujet, et j’ai imaginé la lettre d’un poilu à sa fiancée. Cela dit, on peut tout à fait imaginer autre chose à partir de la chanson, une autre romance. J’aime bien quand les paroles sont un peu cryptiques aussi.

Vous renouez aussi avec le concept de la hidden track, qui était très utilisé dans les années 1990.

Romain : Ouais, c’est un morceau particulier, un peu long, c’était difficile de trouver sa place dans le tracklisting. Comme on l’aime bien, on a voulu qu’il soit présent sur le disque, alors on a trouvé cette solution.

Arnaud : Elle arrive vite quand même, c’est pas comme dans 'Nevermind' où il faut attendre 20 minutes ! [En réalité, il faut attendre 5 minutes pour écouter "Endless, Nameless", mais c'est déjà pas mal, ndla]

Beaucoup de groupes de pop française des années 1980 ont composé une chanson sur Paris, souvent une vision désabusée de la ville. Comment sonnerait la vôtre ?

Romain : Dans le nouvel album, 'Les Angles morts' parlent de Paris. On est toujours à Paris pour des raisons fun, pour des concerts ou la promo, on fait la fiesta, on voit le côté cool de la ville. On a plein d'amis ici, mais des fois ça va plus ou moins bien pour eux, c’est dur aussi. Donc cette chanson représente le regard d’un étranger à Paris, qui aperçoit ce qui se passe derrière la fête et l’espèce de chabada permanent dans le milieu de la musique, les souffrances, les dépressions, et puis la fatigue. A Paris, comme aujourd’hui, on est souvent rincés, on s’est couchés bourrés à cinq heures du matin et on est crevés. Et puis tu marches souvent, c’est une errance, Paris, tu marches pendant des heures après une courte nuit, tu écoutes de la musique dans le métro... Tu ressembles un peu à un fantôme, tu es là sans y être, dans une bulle cotonneuse.

Vous vivez dans le Sud, mais c'est un ancrage abstrait et pratique, ça ne semble pas nourrir votre imaginaire. Du coup, vous êtes un peu déracinés, non ?

Romain : Complètement. C'est le thème de "Chaque jour qui passe", d'ailleurs. Quand je repense à la ville où j’ai grandi, Roanne, parfois, j’ai des gros coups de blues… J’ai envie de remonter voir mes champs, mes vaches, les odeurs, les paysages où j’ai grandi. Ca m’a poussé à écrire le morceau, une envie de retrouver mes racines.

A Aix, tu avais créé le groupe Dondolo, dont l’unique album vient d’être réédité par Gonzaï, ça t'a fait quoi de voir ce disque revivre ?

Romain : Je suis content parce qu’il y a plein de gens qui m’en parlent. Pour ceux qui le possèdent, le disque est culte, parce qu’il a été très peu diffusé. Du coup, je suis heureux que d’autres puissent le découvrir et l’écouter. Et puis je me dis que je n’ai pas fait tout ça pour rien, parce que j’ai composé tout ça dans mon coin pendant dix ans, quand même. Je l’ai réécouté, il y a des morceaux que je trouve super, d’autres qui m’ennuient un peu, mais il a un charme maladroit. Il y avait des trucs en avance sur son temps, il aurait mérité d’être travaillé, en fait.

Revenons sur 'La Vie électrique', qui a été produit par Stephen Street, le producteur mythique des Smiths, de New Order ou encore Blur. Comment s'est passé l'enregistrement avec lui ? 

Romain : C’était super, ça s’est trop bien passé.

Arnaud : Il est très drôle, on a bien ri. Je crois qu’il nous aime bien, et on l’aime bien aussi. Il n’a pas trop touché aux chansons, il aime bien prendre le son du groupe et le magnifier, le sublimer, mais il ne cherche pas à tout bouleverser. On a utilisé nos effets de guitare habituels et puis voilà.

Romain : Sa philosophie, c’est « less is more », il a quelques idées évidemment, des congas ici, retirer un accord là, mais ce n’est pas un mégalo qui va tout faire à sa sauce.

Comment l’avez-vous rencontré ?

Arnaud : C’est nous qui l’avons contacté, directement sur son site Internet.

Romain : Comme une bouteille à la mer, presque pour rigoler.

Arnaud : C’était un fantasme, on lui a envoyé un mail avec un lien Soundcloud vers un morceau du premier album, en pensant qu’il ne nous répondrait pas. Il nous a répondu le lendemain, super emballé, en nous expliquant qu’il ne travaillait d’habitude jamais avec des Français mais qu’il se sentait proche de ce qu’on faisait, et deux jours après son manager nous contactait. On a halluciné.

Quel regard porte-t-il sur la pop française ?

Romain : Il a été surpris que des Français puissent s’emparer de cette mythologie indie-pop anglaise, je pense qu’il ne s’y attendait pas. Ca lui fait penser à l’Europop, cette catégorie où les Anglais rangent la pop continentale. Avec des influences anglaises, mais il a trouvé une vraie singularité dans notre musique, qu’on avait un truc en plus, loin de la pure imitation des groupes anglais. Il s’en fout d’enregistrer un groupe qui veut sonner comme les Smiths et qui fait comme les Smiths.

Arnaud : il veut même l’inverse ! Il ne reste pas dans le passé et il ne veut pas en parler. D’ailleurs, on était sur la même longueur d’ondes. Aucun intérêt pour nous, on veut conserver l'essence personnelle qu'on a réussi à inventer.


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