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Faut-il croire au coup de foudre dans le métro ?

Écrit par
Emmanuel Chirache
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Le coup de foudre dans le métro, c'est un peu comme une baston de regards où tout le monde gagne. La « baston de regards », concept popularisé par la série animée 'Les Lascars', oppose généralement deux hommes qui ne veulent pas baisser les yeux, mais son versant romantique donne un joli flirt entre deux personnes qui s'attirent mutuellement. Le combat se transforme alors en ping-pong, où chacun zieute l'autre en évitant d'être trop insistant. On jette d'abord un coup d'œil, puis un autre plus long afin de croiser de nouveau celui du voisin, espérant y trouver la confirmation d'une attirance réciproque. Si oui, on échange éventuellement quelques mots, rarement plus. Certains parviennent toutefois à lancer une invitation pour un café ou à donner un nom, un numéro de téléphone, un mouchoir avec ses initiales, ce qui peut déboucher sur une relation amoureuse, qui sait ?

Rares sont ceux à réaliser jusqu'au bout ce fantasme du quotidien. Pourtant, beaucoup y croient. Il existe même un site Internet, Croisé dans le métro, qui répertorie ces petites annonces, en fonction des lignes de métro. Alors qu'est-ce qui pousse ces gens à tenter leur chance, à vouloir passer au-delà d'un moment rendu magique par son côté éphémère ? Nous avons posé la question en envoyant un message à quelques annonces anonymes : peu de gens nous ont répondu, la plupart étant sans doute déjà passés à autre chose. Si on imagine qu'il existe des « professionnels du matage » dans le métro, c'était une première pour Lise* : « J'aurais jamais cru faire un truc pareil, nous avoue la jeune femme par mail, mais comme j'ai eu une sorte de crush, j'avais trop envie d'aller au bout, genre une sorte de challenge perso ! »

Surtout, Lise nous confirme que la beauté de l'instant tient à sa furtivité, qui peut laisser des traces : « Je n'avais pas envie de parler à cette personne, car le moment était beau, très surprenant, et j'avais juste envie d'être spectatrice de la scène et de communiquer, autrement. Lorsque je suis descendue à Pigalle, la machine à logique s'est enclenchée : putain mais tu es trop conne, pourquoi tu n'avais pas tes cartes de visite sur toi ! Oui, j'ai cherché mes cartes de visite dans mon sac pour lui filer en guise de marque-page parce que je n'avais pas envie de parler, mais fichue tête en l'air, je les avais laissées chez moi... » D'autres n'osent tout simplement pas parler. C'est le cas de Virginie, qui confie : « Dès que quelqu'un me plaît, je deviens une tombe, pourtant je suis très sociable et enthousiaste dans la vie. » 

La vie est un long couloir de métro, où l'on marche seul.

La majorité des annonces publiées sont rédigées au conditionnel, le temps du regret, et une grande mélancolie semble les traverser. « J’aurais aimé une suite à nos éclats de rire », dit un passager de la ligne 5, alors qu'une femme de la ligne 3 écrit : « J’aurais aimé que tu remontes, je n’ai pas osé descendre », et qu'une autre s'exclame : « J’ai dû descendre à Corentin Cariou, à grands regrets ! » Au fil de la lecture, le site Croisé dans le métro prend soudain des allures de bal des occasions perdues. En filigrane, on devine aussi la violente solitude des grandes villes. Alors qu'elle ne nous connaît pas, Virginie se livre tout d'un coup : « Je me trouve insignifiante. Je crois que je peux donner plein de poésie et de légèreté même si je fais 70 kilos. » Au milieu de ce sentiment d'isolement, le métro fonctionne comme une merveilleuse machine à fantasmes. On se frôle, on se touche, on se regarde sans se parler. Pour une personne maladivement timide, c'est la relation idéale.

« Je fais de plus en plus
de rencontres dans le métro, nous raconte Lise, pourtant je n'ai jamais cherché à transformer l'essai ! J'ai posté l'annonce sans grande conviction, mais franchir les portes qui donnent au-delà de sa zone de confort c'est mon truc à moi en ce moment. » A côté des amis et des relations habituels, le métro permet de rencontrer des inconnus quotidiennement. Certains se croisent ainsi tous les jours, sans jamais avoir échangé un mot. « Tous les matins, tu montes à Val-de-Fontenay », commence une annonce. Quelques-uns préfèrent « briser la loi du hasard » comme le dit joliment un voyageur de la ligne 9. « Trois secondes et un léger mouvement des lèvres, c’est assez pour briser la loi du hasard et nous rendre l’un pour l’autre un peu plus que de simples voyageurs. Du moins j’aime à le croire. » Un autre : « Il était tard ce lundi soir, et j’ai bien compris qu’il te fallait ne pas traîner pour avoir le dernier métro. J’aimerais te revoir un soir, avec un peu plus de temps avant les douze (ou treize) coups de minuit, chers aux Cendrillons qui rentrent du bal. » Et si finalement NKM avait raison ? Et si le métro était vraiment empli de moments de grâce dont nous écrivons tous le poème ?

*Les prénoms ont été modifiés.


lascars 2 bastons de regard par CATALANREPORTAGE

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