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Un « groupe parisien », c'est quoi ?

Écrit par
Emmanuel Chirache
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Article rédigé avec Matthieu Petit.

Un jour, surfant sur le Web et perdant par pur sadisme un temps incommensurable à lire des commentaires sans intérêt, nous tombons par hasard sur cet internaute qui s'épanche sur la prétention des groupes Fauve et Feu! Chatterton, traités non sans mépris de « groupes parisiens ». Oh, ne vous fiez pas à la première définition purement géographique du terme : ce dernier servait juste à affubler ces pauvres musiciens de tous les défauts de la terre. « Groupe parisien », une insulte ? Mieux, un label, si l'on en croit un autre critique écrivant au sujet d'Aline, formation de musiciens venus d'un peu partout et basés à Marseille : « Le second album des Parisiens sonne très français. » Ces deux anecdotes nous ont intrigué au point de nous poser la question : un groupe parisien, c'est quoi ? Si l’on prend en compte l’histoire musicale contemporaine, une ville ou une région a souvent façonné l’image et le son de plusieurs groupes. On a parlé de punk californien, de garage new-yorkais, de la scène électro de Berlin, du grunge à Seattle, autant d’étiquettes qui ont servi ou desservi les musiciens en fonction de leur utilisation ou de leurs abus. Ainsi, lorsqu'on parle de scène parisienne, le premier réflexe de notre mémoire sélective nous rappelle cette bande de jeunes rockers ayant officié il y a une dizaine d’années dans les bars de la capitale et dont les désormais nationaux BB Brunes furent considérés comme les fers de lance.
 
A cette époque, une certaine presse culturelle avait pris ces gamins en grippe à cause de leur apparence, qui trahissait une classe sociale plutôt aisée. Surtout, certains chantaient en français, ce qui leur valut l'appellation de « sous-Téléphone ». Par une étonnante synecdoque, les Parisiens symbolisaient soudain le rock français dans son ensemble, et son défaut principal : en bon cancre de la classe, il n'est qu'un copieur. Et chacun d'employer à tout va la citation de Lennon (pas sa meilleure), comparant le rock français au vin anglais. De là à dire que les groupes parisiens sont constitués de poseurs, de petits branleurs arrivistes et sans talent qui auraient mieux fait de rester dans leur garage, il n'y a qu'un pas vite franchi. Un Anglais qui chante en costard ou en perfecto, c'est classe. Un Français, c'est une posture et une imposture. Par définition, un Français qui fait du rock reprend une musique qui ne lui appartient pas, un genre marqué géographiquement, issu des Etats-Unis puis passé en Angleterre, non sans mal. Faut-il rappeler les critiques acerbes essuyées par les Rolling Stones, les Animals ou les Yardbirds à leurs débuts ? Comme le raconte le manager des Stones, Andrew Loog Oldham, dans son autobiographie : « Des bourgeois blancs qui chantent le blues des ramasseurs de coton, pour les gens de SoHo [un quartier dédié au jazz et au blues à l'époque, ndlr], ça sentait le faisandé. »

Les Naast, qui s'en souvient ?



En résumé, c'est l'aspect « inauthentique » des groupes parisiens qui semble déranger. Récemment, les groupes Fauve et Feu! Chatterton ont également fait l'objet de critiques virulentes pour avoir voulu garder un certain contrôle autour des photos prises lors de leurs concerts. Quand on lui a demandé ce qu'il pensait de Fauve, Marco Prince - chanteur de FFF - avait déclaré : « Pour moi, il y a une arnaque quelque part, un truc qui sonne faux. » La mauvaise réputation des groupes parisiens tiendrait donc à cette question d'image, à laquelle vient se mêler l'image du Parisien en général, notamment l'étiquette bien pratique du bobo. Intello, pop, branché, looké, friqué, le Parisien rock n'a pas de street credibility, il évolue en vase clos, à l'intérieur de ce microcosme dont tout le reste de la France se moque éperdument. Et puis, il y a la musique. Hormis l'alternatif punk des années 1980 (Mano Negra, Béruriers Noirs, Pigalle...), le rock parisien sonne depuis longtemps comme un genre trop lisse et sans bavures. Paris paraît plus sensible à l'air du temps, à l'indie rock et à l'électro : pour le monde, la région parisienne représente d'abord le berceau de la french touch, dont les sonorités continuent d'irriguer des groupes comme Poni Hoax, ou dans une veine moins intéressante Pony Pony Run Run et les Naive New Beaters.

Alors, pas de groupe authentique à Paris ? Pas de metalleux, pas de stoner, pas de bluesmen, pas de punks ? Tout un symbole, les post-punks de Frustration qui, eux, ne peuvent pas vraiment être taxés de poseurs, viennent de banlieue parisienne. Les formidables Theo Lawrence & Victor Mechanick font du blues à Gentilly. Le label rock'n'roll Born Bad est basé à Montreuil. Les démentiels Cheveu ont formé le groupe à Paris, mais ils sont Bordelais et ont connu leurs premiers succès aux Etats-Unis. Il existe plein de bons groupes à Paris, mais ils ne sont pas forcément parisiens. Passage autrefois obligé dans la carrière d'un artiste, la capitale émancipe autant qu'elle asservit, et beaucoup d'artistes préfèrent aujourd'hui n'y faire qu'un tour. Il faut dire qu'avec Internet et la fin des majors, chacun peut bricoler sa musique dans son coin et se sentir plus proche d'un type à Phoenix dans l'Arizona que de son voisin du 18e arrondissement. Dans ces conditions, difficile de définir une identité rock parisienne : quel point commun entre le psychédélisme de Forever Pavot, le post-rock de Fauve et la cold wave de Frustration (hormis la lettre F) ?

Les groupes parisiens ont d'ailleurs souvent évoqué leur relation ambivalente avec la ville, à l'image de morceaux tels que "Paris" de Taxi Girl ou "Adieu Paris" des Fils de joie. « Paris ! Ville de nos rêves… La poubelle est pleine depuis si longtemps qu'il n'y a plus place pour nos déchets à nous. Il ne reste rien à faire, juste marcher dans les rues », chantait Daniel Darc en 1984. Dans une interview récente, le groupe Aline nous confiait à propos de leur chanson "Les Angles morts" : « A Paris, on est souvent rincés, on s’est couchés bourrés à cinq heures du matin et on est crevés. Et puis tu marches souvent, c’est une errance, Paris, tu marches pendant des heures après une courte nuit, tu écoutes de la musique dans le métro... Tu ressembles un peu à un fantôme. » Paris en rock, c'est à regret qu'on l'aime, sans passion, comme un amour faute de mieux. On s'endort avec Paris, plutôt heureux, mais on rêve certaines nuits de New York, de Londres, de Liverpool, de Memphis, de San Francisco. AS Dragon ne dit rien d'autre dans la chanson "Comme je suis" : « Tant pis, j'aurais pu être comme Blondie, hé tant pis, être comme Debbie Harry, hé tant pis, je suis né à Paris. »

Un questionnaire où Taxi Girl désigne comme groupe préféré... Ici Paris.



En réalité, l'ancrage régional des groupes semble désormais s'effriter, d'où qu'on vienne. A l'heure où Internet transforme le monde en réseaux hors-sol, parler d'une « scène » locale, comme on parlait de la scène de Rouen (Dogs, Olivensteins, Nurse...) ou de Bordeaux (Strychnine, Stilettos, Stalag...), n'a plus beaucoup de sens. La musique elle-même ne donne plus la moindre indication d'une quelconque provenance géographique. A l'écoute de Mama Rosin et sa country cajun, comment deviner que le groupe habite en Suisse ? Comment imaginer que les Sudden Death Of Stars ne sont pas Londoniens, mais Rennais ? Qui pourrait croire en entendant les formidables Volage que la formation n'écume pas les scènes de Californie, mais qu'elle vient du Blanc dans l'Indre ? A lui tout seul, Volage incarne la nouvelle volatilité des groupes, leur ventilation affective, puisque les membres sont éparpillés partout en France, Châteauroux, Paris, Tours et le Blanc. On pourrait en dire autant de Mustang, qui fait sans arrêt la navette entre Clermont-Ferrand et Paris, ou de La Femme, groupe du Sud qui se trouve déraciné depuis ses années parisiennes.

D'autres à l'inverse réconcilient local et global avec une détermination et une réussite qui forcent le respect. C'est le cas notamment de The Inspector Cluzo, génial groupe landais entre hard rock du terroir, soul puissante et funk hardcore. Jouant à fond la carte régional (bérets sur la tête, rugby dans les clips, langue gasconne dans les livrets et armagnac dans les bouteilles), le groupe n'en est pas moins international, puisqu'il tourne en Australie, en Asie du Sud-Est et aux Etats-Unis. On pourrait citer aussi les non moins fabuleux Limiñanas, aux racines perpignanaises, au succès américain et au feeling français. Influencé par les yéyés, mais aussi le Velvet Underground, Serge Gainsbourg ou les grands compositeurs de musique de films, le duo conserve un certain attachement pour sa région et le prouve en collaborant avec Pascal Comelade, un autre catalan et fier de l'être, pour son excellent 'Traité de guitarres triolectiques' (la faute d'orthographe est volontaire) paru début 2015. Paris, ville absorbant les particularismes de ses citoyens venus de France et du monde, peine davantage de nos jours à marquer un artiste rock de son empreinte. Hormis peut-être pour le projet bien nommé "Paris" de Nicolas Ker, chanteur de Poni Hoax et amoureux de sa ville. Ce qui est toutefois étonnant, quand on sait que Nicolas Ker vient d'une autre planète.




 








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