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Crumb : De l’Underground à la Genèse

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Time Out dit

« Qu'est-ce que mon travail fout dans un grand musée ? C'est très flatteur, mais je ne comprends pas vraiment à quoi ça rime. » Dos courbé, grosses lunettes rondes, petit sourire en coin : à l'inauguration de sa rétrospective, Robert Crumb se montrait perplexe face à l'intérêt croissant que son œuvre suscite dans le monde de l'art avec un grand « A ».

Et on ne peut pas lui en vouloir, tant il est difficile de saisir l'intérêt de cette exposition consacrée au gourou de la bande dessinée underground – ce vieux pervers au talent fou, hilarant maître de l'autodérision célébré depuis les années 1960 pour ses satires mordantes de la société américaine, de ses codes et de ses mesquineries.

Gloire ? Carnage ? Absurdité ? Nageant péniblement sur les cimaises, comme un banc de poissons à l'air libre s'asphyxiant sur des hameçons, ses chefs-d'œuvre peuplés de femmes indécentes, gaulées comme des rugbymen et toujours poursuivies par des loosers névrosés, ne sont ici que le pâle reflet d'eux-mêmes. Conçu comme n'importe quelle grande rétrospective de plasticien, le parcours aligne sagement toute la panoplie de l'auteur, des premiers croquis réalisés pour le magazine Mad jusqu'à la 'Genèse' (2009), déployée sur quatre murs dans toute son immensité. Comme si, en les encadrant solennellement, l'on attendait de ses dessins qu'ils deviennent des objets muséaux ; comme s'ils étaient soudain faits pour exister dans la gloire marbrée de l'histoire de l'aaart.

Mais on n'avait pas besoin d'une reconnaissance institutionnelle officielle, en grande pompe, pour se rendre compte que Crumb figure parmi les artistes les plus importants de notre temps. Que son portrait acide des Etats-Unis a fait de lui le héraut de la révolution culturelle des sixties et l'un des piliers de tout ce qui a été fait, depuis, dans le 9e art. D'autant que le MAM ne s'est pas franchement foulé. On aurait pu espérer quelque chose de spectaculaire, une sorte de parc d'attraction crumbien, peuplé de croupes généreuses et de fantasmes délirants – ou une analyse détaillée de l'impact de Crumb sur la scène culturelle underground, étoffée de photos, d'animations : de tout ce qui pourrait justifier qu'on ait kidnappé ses strips de leurs albums. A la place, on se retrouve avec un torticolis devant des enfilades de planches en anglais – la moindre des choses aurait été de les sous-titrer. Des commentaires superflus accompagnent le regard, très vite fatigué par ces lectures qu'on préférerait faire au fond de son canapé, un bon gros volume de 'Mes problèmes avec les femmes' ou 'Les Aventures de Robert Crumb' à la main.

Alors certes, en dévoilant la démesure de son talent, le MAM peut susciter l'intérêt de ceux qui ne connaissent pas le travail de l'Américain. Certes, on y trouve quelques planches et couvertures de magazines rares. Certes, le contexte du musée nous permet peut-être de mieux deviner l'influence que les gravures de Thomas Nast ou James Gillray ont eu sur son coup de crayon, de mieux appréhender l'impact des cauchemars de Jérôme Bosch sur ses caricatures infiniment expressives. Mais le MAM a beau réserver de petites sections aux pochettes de disques qu'il a réalisées avec passion pour ses musiciens préférés (diffusés en fond sonore), aux femmes lascives esquissées pour le magazine Art & Beauty ou au regard que Crumb porte sur la France, qu'il habite depuis plus de vingt ans : tous ces efforts, d'une banalité déconcertante, ne suffisent pas à effacer l'impression que, pour 8 euros, on aurait mieux fait de s'acheter une ou deux BD d'occase. Pour dévorer les joyaux artistiques du Père Crumb à domicile, comme il se doit. Encore, encore et encore.

Infos

Site Web de l'événement
www.mam.paris.fr
Adresse
Prix
9 €
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