Narro signifie « je raconte » en latin. Justement, dans ce restaurant bien planqué à deux enjambées d’une Contrescarpe pas très gastro, on ne raconte pas de craques, seulement de belles histoires. Celle qu’écrit le chef japonais Kazuma Chikuda, ex-Le Sot l'y Laisse passé chez Bocuse (à Tokyo), vaut la peine d’être goûtée. Dans le menu midi qui change chaque semaine, dressages poètes, légumes sexy, cuisson « laser », audacieux mélanges, sourcing soigné et longueur en bouche font de chaque assiette une joie d’esthète. Le choix est difficile : bombesque tataki de noix de veau, buffala fumée et légumes croquants ou entêtant œuf parfait, sardine fumée et siphon petit pois-lavande ? Si ça devient trop compliqué, demandez à Megumi Terao, délicieuse gérante de très bon conseil, de vous aiguiller. Côté pif, c'est Byzance ! Le gouleyant Thomas Legrand, sommelier à l’âme nature, écoule jajas désulfités, sakés et vins de macération.
Le 5e arrondissement n’est pas à un anachronisme ni à une incongruité près. Ici, Godard n’est pas mort (l’esprit Nouvelle Vague continue de déferler sur les pavés), on assortit son verre de rouge millésimé à la rose du PS qu’on a encore accrochée à sa boutonnière, et on promène un exemplaire de Marx dans la poche de son bleu de travail vintage (sans avoir jamais mis ses mains dans le cambouis). Autour de la Sorbonne et du Panthéon, Paris semble figée dans son passé de muse du cinéma d’art et d’essai, dont les salles légendaires sont légion dans le quartier, et où les jeunes universitaires ont troqué leur smartphone pour de vieux téléphones à clapet. Bref, si on vient traîner ses mocassins dans le coin, c’est pour flâner et bouquiner bien plus que pour faire tourner les serviettes. Pas trop porté sur la bamboche, le 5e n’en est pas moins amateur de bonne bidoche et regorge de spots cinégéniques à faire tourner. Action !