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Pas d'édition 2015 pour ce festival de cinéma parisien.
© Festival Paris Cinéma Pas d'édition 2015 pour ce festival de cinéma parisien.

Festivals en danger

Depuis les élections municipales de mars 2014, fermetures de lieux culturels et annulations de festivals se multiplient. En cause, de nombreux facteurs tels que le changement de majorité, la baisse des subventions mais aussi des problématiques locales

Écrit par
Anaïs Heluin
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Le 23 janvier 2015, Emeline Jersol ouvrait sur le Net un outil collaboratif destiné à recenser les festivals annulés et les structures culturelles fermées depuis les élections municipales de mars 2014 : la Cartocrise. Largement relayée par les médias, cette carte interactive « a hélas été beaucoup étoffée depuis sa création », déplore la médiatrice culturelle pour Le Boulon, Centre national des arts de la rue situé à Vieux-Condé près de Valenciennes (Nord), qui l'a mise en place. A son ouverture, la Cartocrise répertoriait 48 annulations et fermetures ; elle en compte aujourd'hui pas moins de 179. Et la vague ne semble pas prête de s'arrêter. 

Hécatombe quotidienne

Pas de doute pour Emeline Jersol : la Cartocrise « sera malheureusement toujours en construction ». Chaque jour ou presque, elle continue de recevoir des mails annonçant de nouveaux points à ajouter à sa carte déjà toute bariolée. Et encore, précise-t-elle, « je ne prends en compte que les informations dont je peux vérifier la source. La Cartocrise a beau se rapprocher de la situation actuelle, elle ne peut être exhaustive. » Et c'est sans compter toutes les fêtes de la ville et autres événements de ce type qui ne sont pas répertoriés et qui selon Valérie de la compagnie Progéniture basée à Paris « sont nombreuses à faire appel à des artistes, au point parfois d'avoir l'allure de mini-festivals ».

Toutes les disciplines artistiques sont touchées par l'hécatombe. « En priorité peut-être les arts de rue, directement liés aux collectivités territoriales qui sont les principales responsables des annulations et fermetures en question », remarque Valérie. Et si les événements de faible et moyenne ampleur en terme de public et de rayonnement sont les premières victimes, quelques festivals réputés comme Les Voix du Gaou (Var, créé en 1997) et Paris Cinéma cesseront aussi d'enchanter les festivaliers qui pourtant y venaient nombreux.

 

Une crise à facteurs multiples

Les « points » de la Cartocrise cachent donc des réalités diverses qu'il n'est pas forcément aisé de décrypter. Liées tantôt à un changement d'équipe municipale suite aux élections, tantôt à la baisse des subventions publiques ou encore au mouvement naturel d'évolution de l'offre culturelle, les annulations mériteraient d'être regardées au cas par cas. Non pour éviter tout catastrophisme – la situation est grave – mais pour s'inquiéter avec précision. L'annulation d'un festival comme le Salon de Mai  – parce que « le champ artistique ne laisse guère d'espace, dans tous les sens du terme, à la mission que les artistes rassemblés par Gaston Diehl il y a 67 ans s'étaient donnée », peut-on lire sur le site – ne peut être assimilée à celle des Translatines (Bayonne), par exemple.

Pour Jean-Marie Broucaret, fondateur du Théâtre des Chimères en 1979 puis des Translatines en 1981, l'annulation de son festival dédié au théâtre ibérique et latino-américain traduit « l'avènement d'une culture rentable portée par des stars et des fonds privés, au détriment de structures engagées dans un travail local de longue haleine ». Première source de subvention du festival, la ville de Bayonne a soudain demandé aux autres villes de l'agglomération une participation égale à la sienne. « Une manière détournée de supprimer les Translatines au profit d'un nouveau festival, Kultur Sport, qui sera en partie financé par des fonds privés », regrette Jean-Marie Broucaret.

 

Public en alerte

Le directeur des Translatines ne désespère pas pour autant. « Dans le Pays basque, nombreuses sont les personnes qui s'impliquent dans notre festival depuis sa création. Il fait partie de l'histoire de la région, et les gens refusent qu'on leur supprime ce rendez-vous. Un collectif de spectateur – SOS Translatines – a même été créé. » Impliqués dans l'organisation de Défense Tours Circus, annulé par le Département des Hauts-de-Seine qui l'avait créé en 2010, les membres de la compagnie Progéniture ont eux aussi rédigé une lettre ouverte exprimant leur mécontentement. « Nous ne voulons pas voir les festivals d'arts de rue se transformer en parades de chars », dit Valérie de la Cie Progéniture.

La Cartocrise témoigne également de la mobilisation du public. « Les personnes qui me contactent sont très variées. Les plus nombreuses sont les chargés de diffusion de compagnies, mais j'ai aussi pu échanger avec bien des citoyens lambda, des techniciens de collectivités, des artistes et des salariés de structures », remarque en effet Emeline Jersol. Ces réactions variées ont amené la ministre Fleur Pellerin à produire un communiqué quant à la création de « pactes » entre les collectivités locales et le ministère de la Culture. « Je leur propose de m'engager à leurs côtés en maintenant sur leur territoire les crédits du ministère de la Culture pour les trois prochaines années s'ils acceptent eux aussi de stabiliser leurs financements », peut-on y lire. Une initiative dont il faut attendre de voir les effets, mais qui ne fera pas renaître les festivals disparus...

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