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American Sniper

  • Cinéma
American Sniper
Photo: Courtesy of Warner Bros.American Sniper
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Time Out dit

Dès la simple mention du nom de Clint Eastwood, comment ne pas se souvenir avec délice de son rictus indécidable, énigmatique et ambigu, dans les films de Sergio Leone ? Ce bon vieux Clint, Joconde du western aux inoubliables rôles de renégat anonyme, yeux mi-clos et cigarillo planté au coin du bec ! Dans l’imaginaire cinématographique, Eastwood évoque immanquablement cette dualité de justicier hors-la-loi, cavalier seul et anarchiste capable de se situer de part et d’autre des barrières morales, comme de bandes ennemies qui s’affrontent (à l’image de son rôle dans ‘Pour une poignée de dollars’ de Sergio Leone, il y a 50 ans). Autrement dit, ‘Minuit dans le jardin du bien et du mal’.

Hélas, aucune véritable ambiguïté ne vient désormais troubler la triste rectitude et l’unilatéralité de cet ‘American Sniper’, qui épouse sans complexe le point de vue de son héros, Chris Kyle (Bradley Cooper), le sniper le plus meurtrier – pardon, « efficace » – de l’histoire de l’armée américaine, dont l’autobiographie inspira directement l’écriture du film. Aussi, loin de l’équilibre qu’il instaurait brillamment à travers le diptyque sur la guerre formé par ‘Mémoires de nos pères’ et ‘Lettres d’Iwo Jima’, le réalisateur n’adopte-t-il ici que le strict point de vue américain sur celle d'Irak, dont les habitants se voient systématiquement réduits à un ramassis de sauvages brutaux, à dégommer au plus vite – femmes et enfants inclus, bien sûr, vu leur fourbe maniement du lance-roquettes. D’un côté, donc, l’Amérique triomphante, blanche, droitière et virile (où la femme – celle de Chris, en l’occurrence – ne semble d’ailleurs pas dépasser le stade de la plante verte ou de l’incubateur à bébés) ; de l’autre, des musulmans complètement barbares, de fait exclus de l’humanité. Et Bradley Cooper qui les mitraille à tout-va comme s’il se trouvait dans un jeu vidéo. Voilà, voilà.

Les aficionados d’Eastwood auront tout de même quelques arguments pour défendre le film, qui méritent d’être énoncés, ne serait-ce que par souci d’honnêteté intellectuelle. Par exemple, on arguera qu’une fois rentré au bercail, Chris Kyle souffre de gros symptômes post-traumatiques, qu’il se défoule sur de pauvres infirmières et n’hésite pas à défoncer un chien qui aboie trop fort. En somme, que le film tend à instaurer un équilibre, une ambivalence, entre sa complicité avec son héros et une dénonciation des horreurs de la guerre. Aussi, il faut mettre au crédit d’Eastwood une évidente maîtrise du cinéma classique et une puissante inventivité sur certaines scènes de guerre – en particulier avec une époustouflante séquence de bataille sous une tempête de sable, qui a tout d’un moment d’anthologie dont on se souviendra longtemps.

Seulement, tout cela ne réussit pas le moins du monde à atténuer le sentiment de gêne qu’on ressent devant une vision aussi caricaturale et simplificatrice de l’engagement de l’armée américaine en Irak, puis en Syrie. En suivant l’itinéraire de Chris Kyle pas à pas et sans le moindre recul, Eastwood évacue en effet tout questionnement sur la légitimité d’une guerre pourtant éminemment discutable – et discutée. Ainsi, en dépit de ses qualités en termes de réalisation ou d’interprétation, son film finit par patauger dans l’hagiographie gênante et une propagande qui n’est pas sans rappeler les ridicules discours de Bush Jr. sur son fameux « axe du mal »…

Au fond, le problème d’'American Sniper' reste qu’il mêle sans discernement western âpre, Histoire contemporaine, fascination pour la violence, géopolitique à la truelle et biographie facile, sans se poser la moindre question sur son éthique de la représentation. Finalement, tout est dans le titre du film, qui s’annonce déjà comme le plus grand succès d’Eastwood aux Etats-Unis. ‘American Sniper’, donc : un film américain sur les Américains, pour les Américains – en particulier ceux qui se proclament « patriotes » et s'enthousiasment pour les armes à feu et le mythe du héros sans remord. Hélas, pour beaucoup d’autres, il se réduira sans doute à un trop long métrage (132 minutes), aussi subtil et nuancé que son héros. Direct et costaud, mais profondément antipathique.

Écrit par Alexandre Prouvèze

Détails de la sortie

  • Date de sortie:vendredi 16 janvier 2015
  • Durée:134 mins

Crédits

  • Réalisateur:Clint Eastwood
  • Scénariste:Jason Hall
  • Acteurs:
    • Bradley Cooper
    • Sienna Miller
    • Jake McDorman
    • Luke Grimes
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