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Ma loute

  • Cinéma
  • 4 sur 5 étoiles
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Ma Loute
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Time Out dit

4 sur 5 étoiles

Radicalisant le virage drôlatique pris avec ‘P’tit Quinquin’, Bruno Dumont signe avec ‘Ma loute’ un jeu de massacre jouissif et virtuose jusqu’au pur délire.

Pour les amateurs du cinéma de Bruno Dumont, la série ‘P’tit Quinquin’, réalisée par le cinéaste pour Arte en 2014, put être une découverte déstabilisante. Délaissant les atmosphères mystiques néo-bressoniennes de ses précédents films pour une comédie à rallonge décalée, pince-sans-rire et volontiers absurde, le réalisateur du superbe ‘Hors Satan’ (2011) avait de quoi étonner ses premiers amoureux – tout en conservant la singularité de son rythme, de ses climats et sa patte esthétique.

Eh bien, avec ‘Ma loute’, Dumont va plus loin encore, beaucoup plus loin, accouchant d’un OFNI assez incroyable, qui mêle avec virtuosité les genres et déroute en permanence son spectateur. Première nouveauté : des acteurs-stars, avec un surprenant trio Fabrice Luchini-Juliette Binoche-Valéria Bruni Tedeschi, alors que le cinéaste de Bailleul (Nord) nous avait plutôt habitué à tourner avec des non-professionnels.

Or, c’est la première grande idée de ‘Ma loute’ : faire de ces célébrités une famille de grands bourgeois, face aux habituelles gueules cassées qui hantent les films de Dumont. Dégénérés à grands coups de consanguinité, ces membres de la dynastie Van Peteghem, auxquels il faut ajouter Jean-Luc Vincent (déjà présent chez Dumont aux côtés de Binoche dans ‘Camille Claudel 1915’, et dont la ressemblance avec Luchini paraît assez frappante), forment ainsi une clique aussi débile qu'hilarante : hautaine, ahurie et complètement tarée. Autant dire que les riches en prennent pour leur grade…

En face, il y a Ma Loute (Brandon Lavieville), jeune homme taciturne et étrange, typique de l’univers de Dumont, et sa famille de bouseux déglingués – passablement cannibales, même – qui n’est pas en reste. C’est là l’un des charmes les plus évidents de cette fable sociale circa 1910 : ne jamais prendre parti et préférer mettre l'accent sur la médiocrité générale de l’ensemble des couches de la société. Ou pour le dire familièrement, tout le monde prend vraiment cher. Sauf, heureusement, une héroïne : Billie (l’actrice Raph), stupéfiante adolescente issue de la famille Van Peteghem, attirée par Ma Loute et qui fait magnifiquement le pont entre les riches et les pauvres, les acteurs connus et les anonymes, les cinglés et les dingos. Une jeune femme qui se déguise en garçon. Mais peut-être est-ce l’inverse.

Or, tout ce petit monde se retrouve alors que, sur la côte d’Opale, de mystérieuses disparitions se succèdent. Mais comme dans ‘P’tit Quinquin’, l’enquête n’est ici qu’un prétexte, un simple jeu sur le genre. D’ailleurs, l’enquêteur en chef, Alfred Machin (l’ogresque Didier Desprès), n’est pas sans faire assez largement écho aux flics aux bras cassés de ‘P’tit Quinquin’. Alors, le conte social, cruel, cède au policier, tout en passant par le gore, le slapstick, l’envolée mystique, pour finir dans une sorte de délire complet, quelque part entre Jacques Tati, Luis Buñuel, Jean Epstein, Fatty Arbuckle et la Trilogie de la vie de Pasolini. Dumont délire, ses acteurs s’en donnent à cœur joie (avec une mention spéciale à Juliette Binoche, grenouille de bénitier délicieusement hystérique, à l’extrême opposé de sa prestation superbe de retenue dans ‘Camille Claudel 1915’)… Et l’on en sort délicieusement déconcerté, avec la sensation d’avoir vu un pur trip, mis en scène d’une main de maître. 

Écrit par
Alexandre Prouvèze
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