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Saint Laurent

  • Cinéma
  • 5 sur 5 étoiles
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Saint Laurent
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Time Out dit

5 sur 5 étoiles

En général, le biopic (ce fameux biographical picture qu’on pourrait souvent traduire par « hagiographie du pauvre ») est un genre à fuir. Lourdaud, pléonastique, parfois mystificateur. Heureusement, quelques contre-exemples, rares (Last Days de Gus Van Sant, Napoléon d’Abel Gance, Camille Claudel 1915 de Bruno Dumont…), ont su avoir le mérite de se concentrer sur une période restreinte, ou un aspect unique, symbolique, de leur principal protagoniste.

Ainsi, en se concentrant sur une décennie culturellement mythique (1967-1976), le Saint Laurent de Bertrand Bonello semble faire un choix nettement plus judicieux que le film de Jalil Lespert, sorti plus tôt cette année et retraçant en intégralité la vie du créateur de mode. Ça, tout le monde vous le dira sans doute. Seulement, cette qualité, quoique manifeste, est probablement la moindre du long métrage de Bonello, qui parvient surtout à épouser son sujet dans une proportion exceptionnelle.

D’abord, il y a la méticulosité du travail, rendue de façon extrêmement précise. D’une certaine manière, le film lui-même fait dans le cousu main de luxe. Comment fonctionne un atelier, quel sacerdoce créatif et quelle pression nerveuse l’élaboration d’une collection exige-t-elle, à chacun des échelons de la chaîne de production… Et puis, il y a évidemment le personnage hors-du-commun d’Yves Saint Laurent, incarné par un Gaspar Ulliel qui tient clairement son plus grand rôle à ce jour, bien au-delà du simple mimétisme avec ce portrait d'un génie précoce, bipolaire, alternant euphorie et dépression, audace et malaise, sérieux et déglingue.

Enfin, il y a le portrait d’une époque et d’un milieu, servi par une galerie de seconds rôles impeccables. A commencer par Jérémie Renier dans la peau d'un Pierre Bergé complexe, à l’ambition farouche, carriériste pour deux – et apparemment plus proche de la réalité historique que l’ange-gardien et chef d'orchestre décrit par le film de Lespert. Quant à Louis Garrel, dans la peau de Jacques de Bascher, dandy aérien et toxique, débauché magnifique, il apporte à son personnage une légèreté toute en nuances et clair-obscur, dans un registre profond sans avoir l’air d’y toucher, et trouve là lui aussi l’un de ses plus grands rôles.

Mais enfin, tout cela ne serait rien sans l’intelligence et la finesse de la mise en scène de Bonello, qui réussit, mine de rien, un véritable tour de force en termes de réalisation, collant esthétiquement au plus près de Saint Laurent sans jamais renier son propre style – mais plutôt en le développant, en le prolongeant avec une subtilité et un sens du détail référencé parfois vertigineux. D’abord chronologique, la narration finit ainsi par mêler les époques dans un tourbillon sensoriel qui évoque clairement la progression d’A la recherche du temps perdu, Marcel Proust étant par ailleurs évoqué comme l’auteur-culte du couturier.

Un autre exemple ? Les split-screens de la superbe séquence finale de défilé qui, en s’organisant géométriquement comme une toile de Mondrian, évoquent la fameuse robe qui rendit célèbre le jeune Saint Laurent en 1965. Ou encore, remarquons cette truculente séquence où Bertrand Bonello en personne incarne un journaliste s'interrogeant sur la nécro du styliste en ces termes : « Jusqu'où on va ? Est-ce qu'on raconte vraiment tout ? L'alcool ? La défonce ? », comme en écho à ses propres questions de réalisateur. Aussi, entre de multiples mises en abyme (notamment lors d’une séquence où Helmut Berger, qui interprète Saint Laurent à la fin de sa vie, se voit lui-même, jeune, sur un écran de télévision dans Les Damnés de Visconti) et jeux de miroirs – ceux-ci étant omniprésents à l'image – entre réalité et fiction, haute couture et cinéma, Bonello parvient-il à une densité esthétique rare, parfaitement en adéquation avec son sujet, tout en restant intensément glam. En termes de biopic, et même si seul le temps nous le dira, force est de conclure que son Saint Laurent ressemble fort à un chef-d’œuvre du genre.

Écrit par
Alexandre Prouvèze

Crédits

  • Réalisateur:Bertrand Bonello
  • Scénariste:Bertrand Bonello, Thomas Bidegain
  • Acteurs:
    • Léa Seydoux
    • Gaspard Ulliel
    • Brady Corbet
    • Louis Garrel
    • Jérémie Renier
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