À Marseille, le mezcal mexicain prend l’accent

Touche-à-(absolument)-tout, le designer Axel Schindlbeck eut, en 2017, l’idée un peu folle de distiller des agaves marseillais pour en faire un mezcal local. Une étrange affaire qui roule toujours.

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« Curieux, curieux et encore curieux. » Voilà qui résume parfaitement le profil d’Axel Schindlbeck, créateur‑designer allemand, partagé entre Marseille et Helsinki. « Je suis arrivé en France en 2010 », explique‑t‑il dans un français ponctué d’un accent germanique. « D’abord à Paris, puis à Marseille, où l’on m’a proposé un poste de professeur aux Beaux‑Arts. » Quinze ans plus tard, il est sur tous les fronts : « En ce moment, je n’enseigne pas, mais je conçois une ligne de mobilier d’extérieur pour cinémas en plein air, avec un système sonore de folie développé en collaboration avec un Marseillais. Je réfléchis aussi à un lieu dans le Var pour accueillir des artistes en résidence… » Sa tête fourmille d’« idées un peu loufoques » qu’il s’efforce de concrétiser quoi qu’il en coûte. À l’image de ce mezcal marseillais.

Josiane
© Lorraine Hellwig

En 2017, le projet européen LIFE Habitats Calanques voit le jour, un plan de protection des milieux naturels menacés du littoral provençal. « À cette époque, je revenais tout juste d’un séjour au Mexique, et en voyant le nombre d’agaves vouées à l’arrachage, j’ai tout de suite pensé à en faire du mezcal », se souvient Axel Schindlbeck. L’idée – fidèle à son esprit un peu loufoque – est de valoriser cette plante invasive dont la prolifération menace l’écosystème local. Il se tourne alors vers Martial Berthaud, artisan distillateur à Autignac, dans l’Hérault, opérant sous la marque L’Atelier du Bouilleur. « Avec lui, ça a été un véritable coup de foudre », confie aujourd’hui le designer.

Du Frioul à la Bonne Mère en passant par la Côte Bleue

Ensemble, ils donnent naissance à la première eau‑de‑vie d’agave européenne, fruit du réjouissant crossover entre REVEEAL, le laboratoire à but non lucratif imaginé par Axel Schindlbeck, et L’Atelier du Bouilleur. Première étape : le ramassage. Après l’archipel du Frioul, les équipes concentrent leurs efforts sur la Côte Bleue – la façade maritime reliant Marseille à Martigues – dans le cadre d’un partenariat avec la SNCF, qui s’apprêtait alors à rénover la ligne ferroviaire. « Il fallait, avant tout, qu’ils traitent les espaces verts environnants, très riches en agaves », précise Axel Schindlbeck.

À Marseille, le mezcal mexicain prend l’accent
© Josiane

De ces arrachages naissent deux pépites : d’abord Josiane, une eau‑de‑vie d’agave inspirée du mezcal mexicain, baptisée d’après un tag sur un rocher de la plage du Prophète et devenue le spiritueux signature du tandem ; puis, un peu plus tard, Viviane, du nom d’un autre graffiti, résultat d’une macération d’agaves dans un alcool de vin naturel.

En septembre 2024, ce sont les abords de la basilique Notre‑Dame de la Garde où l’on arrache les agaves. Celles‑ci viennent tout juste d’être distillées par Martial Berthaud et seront bientôt confiées aux mains expertes de Guillaume Ferroni, fondateur de la Maison Ferroni, installée au cœur du château des Creissauds à Aubagne. « Il intervient en fin de processus pour assurer le vieillissement : il récupère l’alcool blanc sorti de l’alambic et le met en fût pendant une durée déterminée », détaille le fondateur de L’Atelier du Bouilleur, qui prend en charge le reste.

Josiane
© Josiane
Josiane
© Josiane

À peine une centaine de bouteilles par an

Tout commence par une cuisson à basse température dans un sauna spécialement aménagé : « La première année, on avait tenté un four à pain traditionnel, mais c’était trop rapide et trop intense », confie Martial Berthaud. Vient ensuite la fermentation, dont la durée fluctue au rythme des saisons : « Après trois semaines de cuisson, on les a laissées macérer tout l’hiver. Avec les agaves, pas besoin de levures : ça fermente tout seul ! » Enfin, six mois plus tard environ, arrive le moment tant attendu de la distillation.

Un travail de longue haleine pour « un rendement ridicule », admet Berthaud : « À chaque arrachage annuel, on collecte 1,2 tonne d’agaves ; après émondage, on tombe à 1 tonne, puis à 800 kg après cuisson, et, post‑fermentation, il ne reste qu’une centaine de litres d’alcool brut ! C’est dix fois moins que le pire rendement en châtaignes. »

Si le duo persévère, c’est avant tout pour des raisons écologiques : « Nous ne produisons guère plus d’une centaine de bouteilles par an, difficile de parler de démarche commerciale… », souligne Axel Schindlbeck, qui rappelle que la prolifération de ces plantes est catastrophique pour la biodiversité. Transformer un fléau en mezcal : tel est leur pari.

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