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'Merci Raymond' par Bertrand Lavier

  • Art, Art contemporain
  • 4 sur 5 étoiles
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Time Out dit

4 sur 5 étoiles

Innovante, drôle et touchante : la nouvelle exposition de la Monnaie de Paris est tout cela à la fois.

Si, à sa sortie, l’exposition ‘Brut(e)’ de Jannis Kounellis nous avait mis dans un état de cafard avancé, celle de Bertrand Lavier nous insuffle un sentiment d’optimisme à l’extrême opposé. Pourtant, en imaginant une rétrospective de ses œuvres mises en regard avec celles de son ami et complice, le regretté Raymond Hains, l’artiste aurait pu tomber dans l’hommage plombant et déprimant d’un virtuose vivant à son confrère disparu. Mais c’était sans compter le caractère jovial du Monsieur et ses ambitieuses aspirations. Celui qui remercie Raymond Hains de lui avoir appris la liberté et « cette valeur cardinale qu’est l’imprévisibilité » désirait créer « un genre qui n’existe pas encore » – dessein expliquant le surtitre « l’exposition que vous n’attendiez pas » sur l’affiche de l’événement. Par conséquent, Bertrand Lavier propose un dialogue fécond entre leurs deux univers. Comme une dédicace enjouée fourmillant de clins d’œil cocasses et aiguisés.

Construit « à l’image d’un film en douze actes », le récit artistique de cette belle histoire d’amitié fait en effet la part belle aux calembours et autres détournements littéraux de la langue française. Jouer avec l’outil linguistique étant un plaisir partagé par les deux hommes, il se devait donc de constituer le fil conducteur de ‘Merci Raymond’. Ainsi, pour faire référence à la série photographique de Raymond Hains sur le logo Citroën et ses six troènes, Bertrand Lavier reproduit cette rangée d’arbustes entre deux citadines, une Matiz et une Picasso. Autre exemple de leur amour commun de la formulation prise au pied de la lettre : ‘La Foire aux skis’. Soit un espace rassemblant des travaux d’artistes dont le patronyme finit par « sky ». Le tout présenté sur un fond sonore signé Stravinsky.

Mais la subtile absurdité n’était pas le seul point sur lequel se retrouvaient Raymond Hains et Bertrand Lavier. Il y avait aussi leur façon de montrer la beauté du quotidien, tels des « magiciens du réel », selon l’expression consacrée de Bertrand Lavier. A l’image des fameuses affiches lacérées qui ont fait la renommée du premier et répondent, par une scénographie faussement rivale, à la ‘Rue de Charonne n°2’ du second, évocation des vitrines en travaux recouvertes de blanc d’Espagne. Deux œuvres qu’on pourrait croiser dans la rue, au détour d’une balade, sans faire attention à leur portée esthétique. Or, ici, les voilà mises en avant, vues non plus comme d’insignifiants éléments de notre environnement mais sublimées par les murs blancs des pièces de la Monnaie.
De la façade – où l’intitulé de l’exposition s’étend en lettres de verre cannelé, rappelant celui que Raymond Hains mettait devant son objectif lorsqu’il immortalisait ses sujets – aux miroirs griffés de la « touche van Gogh » – un flou artistique déformant les contours et les perceptions–, c’est d’ailleurs tout l’espace de la Monnaie de Paris qui se trouve investi. Il faut dire que « ce lieu demande à être désinvolte », s’amuse Bertrand Lavier. En témoigne ‘Dolly’, cette montgolfière bigarrée jetée négligemment par-dessus le balcon.

Alors certes, les liens entre les œuvres ne sont pas toujours évidents. Toutes les œuvres sont mélangées, sans cartels pour les distinguer, si bien que l’on se pose souvent la question : « Qui a fait quoi ? » Mais il est si amusant de le chercher, de le déceler, d’apporter sa propre interprétation à l’installation admirée que ce jeu de piste finit par faire partie intégrante de l’exposition. Et puis, chaque salle (ou « chantier » comme Bertrand Lavier aime les appeler) prenant pour thème un noyau commun aux deux artistes, le visiteur ne se sent pas perdu pour autant. Bref, tout semble aléatoire et cependant rien n’est laissé au hasard. Il suffit de s’attarder sur les détails pour découvrir où se cache le diable que, espiègle comme un jeune enfant, Bertrand Lavier aime tant tirer par la queue (et les cheveux).

Si ‘Merci Raymond’ n’était donc pas spécialement, du propre aveu de Bertrand Lavier, « pensée pour faire rire », elle apporte néanmoins dans son sillage un vent de délicieuse légèreté qui fait du bien en ces temps agités. Une brève évasion qui, même si elle ne dure qu’un instant, nous pousse à dire « merci Bertrand ».   

Écrit par
Clotilde Gaillard

Infos

Site Web de l'événement
www.monnaiedeparis.fr
Adresse
Prix
12 €
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