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Can • 'The Lost Tapes'

  • Cinéma
  • 5 sur 5 étoiles
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Can - The Lost Tapes
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Time Out dit

5 sur 5 étoiles

Canines cannibales qu’Hannibal canarda, sarbacanes et canons sur jerricans, arcanes cannelées, canulars cannabiques et canettes de canneberge… Bref, nous allons parler de Can, mythique groupe de rock teuton dont 2012 aura vu la sortie chez Mute de ces âpres ‘Lost Tapes’ : trois heures d’inédits bruts, enregistrés entre 1968 et 1977, et inopinément retrouvés lors du démantèlement de l’Inner Space Studio du groupe, à Weilerswist près de Cologne. Trois heures de sauvagerie extatique, tirées d’une cinquantaine d’heures de bandes où des synthétiseurs funambules crissent le long de cordes à l’électricité hirsute, où les lignes de basse sautillent sur les hallucinations tambourinées, démentes, de trancheurs d’oreilles sous alcaloïdes. Mais trois heures qu’on peut aussi entendre comme une formidable (et jouissive) leçon d’art moderne appliquée à la musique.

En effet, dans la lignée commune du free jazz, du sérialisme de Stravinski et des minimalistes Cage ou Ligeti, gobant goulûment les pilules compulsives de la répétition reichienne en passant par les inquiétants magmas sonores de Stockhausen ou le capharnaüm tribalo-cosmique de Sun Ra, Can reste bien plus qu’une Volkswagen du prog-rock. A l’image du reste de sa discographie, ces ‘Lost Tapes’ se révèlent dissonantes, disruptives, bordéliques comme une toile de Basquiat et spontanées comme un dripping. Quant aux paroles, généralement réduites à leur expression la plus simple, à la limite de la stupeur (« Are you waiting for the streetcar ? », « Deadly, deadly, deadly, deadly, deadly, deadly Doris »…), elles résonnent têtues et décharnées comme du Beckett sous LSD ou un slogan insurrectionnel.

Tout cela pour dire combien la sortie inattendue de ces titres foisonnants constitue une excellente nouvelle, nous replongeant dans les déviances sonores du groupe germain avec des titres formidablement sexy et détraqués : "Millionspiel" (bulldozer qui ouvre l’album en fanfare avec ses cycles de saturation et sa flûte traversière), "Graublau" et ses 17 minutes de funk bruitiste,  croisant plus loin une ballade planante, quasi-velvetienne ("Oscura Primavera"), du sprechgesang sur nappes analogiques ("True Story"), mais aussi des bruits de chasse d’eau ("The Agreement"), une version live démentielle du tube "Spoon" ou un instrumental ultra-psyché, "Dead Pigeon Suite"… Entre-temps, disséminées ça et là, de multiples expérimentations viennent sortir l’auditeur de sa transe, comme ce "When The Darkness Comes" qui ferait passer Jim Morrison pour un buveur de limonade, ou le free déglingué, à la limite de l’audible, de "Blind Mirror Surf". Bref, on pourrait en parler pendant des heures. Alors autant la boucler. Et se repasser – en boucle, évidemment – le groove hypnotique de "A Swan Is Born". Jusqu’à plus soif.

Label : Spoon/Mute

Lire notre interview d'Irmin Schmidt, membre fondateur de Can

>> Lire les autres critiques de notre dossier sur les meilleurs albums de 2012.

Écrit par Alexandre Prouvèze
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