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Ceuta douce prison

  • Cinéma
  • 4 sur 5 étoiles
  • Recommandé
Ceuta, douce prison
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Time Out dit

4 sur 5 étoiles

‘Le Château’ de Kafka sous le soleil éclatant du Maroc : voilà en quelques mots ce qu’évoque le sobre – et juste – documentaire de Jonathan Millet (images) et Loïc H. Rechi (son), ‘Ceuta, douce prison’. Enclave espagnole à l’extrême pointe nord du Maroc, la petite ville de Ceuta y apparaît comme un sas, un lieu de transition entre l’Afrique et l’Europe. Là, les migrants attendent, souvent des années, dans l’espoir d’un laissez-passer vers le Vieux Continent, mêlé à la crainte lancinante d’un ordre de retour au pays natal. Or, comme chez Kafka (ou dans ‘Le Désert des Tartares’ de Buzzati), l’attente semble chaque jour rendre le but plus lointain, irréel, chimérique, figeant les hommes dans un présent permanent, itératif et carcéral. Cyclique, la temporalité du documentaire, où les séquences se font souvent écho, parvient à retranscrire ce surplace, tout en parvenant heureusement à avancer, à creuser la complexité de ces situations singulières.

Car, pour arriver jusqu’à cette ultime porte de l’Europe, chacun des cinq protagonistes du film aura déjà suivi – et, surtout, subi – un itinéraire d’errance clandestine où le danger, la faim, la violence et l’incertitude l’auront disputé au rocambolesque. Autant dire que, comme dans le récent film de Kaveh Bakhtiari, ‘L’Escale’, l’aventure humaine et géographique de ces prisonniers à l’air libre, leurs expériences de fuite, suffisent à donner au film une imposante densité, contemporaine et politique. Le risque du documentaire aurait donc été, assez logiquement, de surligner la détresse, la misère. Or, chacun se voit ici filmé à hauteur d’homme, d’égal à égal, avec dignité, mais aussi avec humour et bienveillance. Au final, la situation de Ceuta, arbitraire, absurde, éclate d’autant plus à l’écran qu’elle discorde avec la beauté des paysages, comme ces superbes plages de cartes postales, longées de barbelés et de miradors. A la fois pudique et frontal, ‘Ceuta, douce prison’ ressemble, comme son titre, à un oxymore – refusant la simplicité d’un discours univoque pour retranscrire la complexité du réel. D’un réel qui frappe à notre porte. Et mérite, légitimement, d’être entendu.

Écrit par Alexandre Prouvèze
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