Duch, le maître des forges de l'enfer

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Duch, le maître des forges de l'enfer
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Time Out dit

4 sur 5 étoiles

Interview d'un tortionnaire. Kaing Guev Eav (alias "Duch") dirigea la prison S-21, camp d'extermination de masse du régime khmer rouge, qui soumit le Cambodge de 1975 à 1979 et en décima un quart de la population. Oui, un quart. Face caméra, il revient sur l'organisation de Pol Pot, sur ses méthodes de torture, ses purges massives… Evidemment, sa justification, classique des bourreaux – au moins depuis Eichmann – est de ne constituer qu'un rouage au sein d'une administration plus large, sur laquelle il n'aurait eu prise. C'est vraiment facile ; mais au fond cohérent avec n'importe quel système visant à nier le libre arbitre au profit d'une idéologie.

A l'origine, Duch était un mathématicien extrêmement cultivé. On le voit d'ailleurs réciter des poèmes d'Alfred de Vigny dans un français impeccable, causer philosophie et citer Balzac (« Les régimes périssent, les gouvernements passent, la police est éternelle »), ou encore lire… Stéphane Hessel ! Sans déconner. A côté de ça, il raconte avoir disséqué une femme vivante. Bref, c'est à vous filer le tournis. Comme s'il y avait dans ces images un désaveu commun de la pensée et du langage : la philosophie accouchant de monstres et des poèmes débouchant sur un charnier.

Cette réflexion du film, sur le pouvoir des formes idéologiques, est parfois vertigineuse. La mécanique totalitaire s'y révèle, où la perversité systématique paraît constituer une logique aussi solide que terrifiante. Ainsi, tout en demandant pardon, Duch reconnaît – avec ce qui ressemble à de la fierté – avoir été l'un des plus « talentueux » de son organisation. Comme si l'extermination de masse pouvait se dire, simplement, logistique.

Or, le travail de mémoire poursuivi ici par Rithy Panh paraît d'autant plus indispensable qu'il ne reste que peu de traces de ces exterminations. « Maître de la disparition », se qualifie Duch lui-même. Effacement des preuves, des états civils et des corps... le régime de Pol Pot est allé bien au-delà de l'assassinat : il a réussi, purement et simplement, à abolir des centaines de milliers d'existences. Ainsi, l'oeuvre du cinéaste franco-cambodgien, rescapé des geôles khmers, rappelle assez celle de Claude Lanzmann avec 'Shoah'. Sauf que, là, c'est le bourreau qui raconte.

Écrit par Alexandre Prouvèze
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