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Faust

  • Cinéma
  • 4 sur 5 étoiles
  • Recommandé
Faust
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Time Out dit

4 sur 5 étoiles

A l'époque de son impressionnant 'Mère et fils' (en 1997 – ce qui ne nous rajeunit guère), émouvante pietà inversée où un type mutique accompagnait l'agonie de sa mère dans une maison isolée, Alexandr Sokourov faisait déjà bien parler de lui pour son traitement audacieux de la couleur, peignant alors à même la pellicule ses teintes contemplatives et oniriques. On avait d’ailleurs rarement vu des nuages aussi hypnotiques.

Seulement, tout cela se passait au siècle dernier et en quinze ans, le numérique a rendu nettement plus aisé – et artificiel, souvent – ce type de traitement pictural de l'image. Ainsi, pour ce 'Faust', qui vient conclure une tétralogie sur le Mal croisant Hitler (‘Moloch’, 1999), Lénine (‘Taurus’, 2001) et l’empereur Hirohito (‘Le Soleil’, 2005), le réalisateur russe en est venu à travailler avec Bruno Delbonnel, chef-opérateur virtuose de ‘Harry Potter', 'Amélie Poulain' ou 'Dark shadows'. Et le résultat est tout simplement stupéfiant. Car si le numérique permet à Sokourov de distordre ses images, de les enrober d'un halo fantasmatique, de jouer sur leur flou ou leur piqué, les effets spéciaux n’ont jamais la moindre gratuité, contribuant à l’affirmation d’une esthétique solide, certes omniprésente mais jamais vulgaire ou tape-à-l’œil.

Bouleversant l’ordre et les personnages du récit de Gœthe, ce ‘Faust’ est donc avant tout une œuvre sensuelle, jouant sur les textures visuelles, les matières sonores (en particulier le grain des voix-off), et invitant le spectateur à une sorte d’expérience synesthésique assez inédite, plus proche de Tarkovski que du storytelling mécanique auquel le cinéma mondialisé nous a habitué – et ça fait évidemment beaucoup de bien. Bref, on respire. Bien sûr, ça sent le soufre (Méphistophélès oblige), mais le diable représente ici davantage une mauvaise conscience grotesque, assez médiévale, que la toute-puissance démoniaque que lui attribuait, par exemple, l’adaptation par Dreyer de la même pièce de Gœthe en 1926.

Récompensé d’un Lion d’or l’année dernière à Venise, ce ‘Faust’ constitue même certainement l’une des œuvres les plus abouties de Sokourov, mêlant naturalisme, fantastique, et une forme d’expressionnisme tout à fait personnelle. Jouant sur les références, parfois avec humour, le cinéaste parvient à se libérer du lourd carcan gœthien en lui préférant parfois Dostoïevski (son Faust apparaissant comme un épigone d’Ivan Karamazov), voire Shakespeare – lors d’une scène où Marguerite, la jeune femme dont Faust est passionnément épris, fait manifestement écho à l’Ophélia de ‘Hamlet’. Bien sûr, le parti pris de mise en scène, avec ses distorsions de sons et d'images, extrêmement fort d’un bout à l’autre du film, en décontenancera certains. Mais après tout, c’est aussi pour ça qu’on va au cinéma, non ? Et en l’occurrence, il est indéniable, devant ce film, que Sokourov fait partie haut la main des réalisateurs les plus singuliers et ambitieux qu’il nous soit donné de suivre. Ce serait donc dommage de passer à côté.

Écrit par AP

Détails de la sortie

  • Noté:15
  • Date de sortie:vendredi 11 mai 2012
  • Durée:140 mins

Crédits

  • Réalisateur:Alexander Sokurov
  • Scénariste:Alexander Sokurov
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