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Haewon et les hommes

  • Cinéma
  • 5 sur 5 étoiles
  • Recommandé
'Haewon et les hommes' 4
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Time Out dit

5 sur 5 étoiles

Il existe deux types de gens : ceux qui connaissent les films de Hong Sang-soo et ceux qui ne les connaissent pas. Les premiers doivent aller voir 'Haewon et les hommes', car ils vivront là une expérience jouissive de premier ordre. Les autres doivent également courir dans l'un des cinq misérables cinémas parisiens qui ont eu l'audace de diffuser ce grand film réalisé (comme tous ceux du cinéaste) avec trois francs dans trois décors selon un rituel quasi similaire. Avec Hong Sang-soo, le spectateur assiste au génie de la variation sur un thème imposé, dans la mesure où les scènes se répètent inlassablement avec juste une quantité infinitésimale de différences qui fait tout le sel du film, comme un chimiste ou un biologiste refait une expérience avec les mêmes données mais en modifiant légèrement l'une d'entre elles. C'est au plaisir familier de la routine, celui qui rend la vie en vérité si douce, auquel nous convie Hong Sang-soo avec un art achevé du plan-séquence presque amateur et des dialogues si réalistes qu'on n'oserait pas les écrire. Difficile de définir précisément ce qui charme avec autant de puissance dans les scènes émouvantes ou hilarantes de ses films, pourtant nous avons au moins cinq bonnes raisons pour vous inviter à voir 'Haewon et les hommes'.

1/ Parce que la Corée est le nouvel Eldorado du cinéphile

Entre 'Snowpiercer' également à l'affiche et 'Haewon et les hommes', le grand écart du cinéma sud-coréen est complet. Alors que le premier marque l'incursion ambitieuse de Bong Joon-ho dans la SF et le grand spectacle, le second est un petit film d'auteur dans la veine de la Nouvelle Vague, en particulier Eric Rohmer. Avec ces deux sorties très différentes mais toutes les deux excitantes, la Corée prouve qu'elle est devenue un pays de cinéma capable de jouer sur tous les registres. Alors que Kim Jee-woon et Bong Joon-ho semble attirés par les sirènes hollywoodiennes, pour le pire et le meilleur sans doute, Hong Sang-soo a le mérite de constituer une œuvre d'une cohérence redoutable et c'est sans surprise si le seul pays vers lequel le réalisateur tend à regarder est la France (Isabelle Huppert et Jane Birkin jouent dans ses deux derniers films).

2/ Parce que c'est hilarant et touchant

Fidèle à sa méthode de travail, Hong Sang-soo a écrit le scénario et fabriqué l'histoire de son film au jour le jour. Ce qui explique une intrigue un peu décousue et pourtant si authentique qu'on y est immédiatement sensible. Pour bien appréhender l'humour et la beauté des scènes de 'Haewon et les hommes', il faut saisir la poésie touchante que dégagent ces personnages dérisoires et humains, embarqués dans des situations qu'ils ne contrôlent pas et qu'ils revivent à l'infini, dans un tourbillon digne du 'Jour de la marmotte' ('Groundhog Day' ou 'Un jour sans fin' selon les pays, film culte de Harold Ramis). Faite de tabous terribles, de politesse extrême et de retenue sociale, la culture de la Corée du Sud imprègne aussi le film, si bien qu'on ne sait plus si on rit parce que c'est drôle ou parce que c'est si loin de nous. En réalité, Hong Sang-soo est un grand auteur comique, capable de faire des clins d'œil hilarants à ses précédents films, comme dans la scène où Haewon est draguée par un Coréen exilé aux Etats-Unis avec une technique très drôle déjà utilisée dans 'Matin calme à Séoul'. 

3 / Parce que vous aurez envie d'aller à Séoul

Tourné dans un quartier ancien de Séoul, Seochon, le film présente une ville calme, au charme discret mais pénétrant. Au fil des minutes, le parc Sajik et ses barrières rouges deviennent un endroit familier où l'on aimerait flâner pour de vrai, tout comme on souhaiterait bouquiner dans la petite librairie d'occasion aperçue plusieurs fois. Enfin et surtout, on rêve d'errer sur les hauteurs du Mont Inwang, le long d'un mur d'enceinte fortifié datant de l'ancienne capitale et désormais promenade choyée des Coréens. Dans le film, c'est un endroit d'engueulades sous les brumes printanières autant que de désespoir au coucher de soleil, un lieu de baisers tendres sur les marches d'un temple autant que de discussions amusantes à propos de drapeaux qui flottent au vent. C'est décidé, l'année prochaine on part à Séoul.

4/ Parce que c'est une ode à la picole

« Quand je suis en groupe, avec mes collègues ou après une projection, je n'aime pas voir tout le monde se diviser en petits groupes et parler sans arrêt entre eux. Ce que je fais du coup, c'est que je propose un jeu d'alcool pour qu'on picole tous ensemble. Si le jeu tient une heure, la plupart des gens sont tous bourrés et on n'a plus besoin de parler. » Voici ce que raconte le réalisateur dans un entretien donné à So Film. Il faut dire que Hong Sang-soo ne rigole pas avec la murge. Ancien alcoolique, il a gardé un sacré penchant pour le soju et passe son temps à filmer des gens saouls dans des bars, au restaurant, dans la rue. 'Haewon et les hommes' n'échappe pas à la règle, même si on ne compte qu'une seule scène de beuverie collective. Ces séquences sont souvent l'occasion de franche rigolade, de confessions soudaines ou de dialogues insolites. Un film qui donne envie de boire ne peut pas être un mauvais film, n'est-ce pas ?

5/ Parce que c'est un film qui donne envie de faire du cinéma

Toute la filmographie de Hong Sang-soo est la preuve par l'exemple qu'on peut faire du grand cinéma avec une économie de moyens qui frise le néant. Beaucoup de spectateurs se méprendront sans doute sur l'amateurisme apparent de la réalisation, faite de zooms et dézooms étranges, de panoramiques old school, de plans-séquences fixes et longs, alors que la répétition de ces figures de mise en scène fait écho à la répétition des intrigues. Au détour d'un mouvement de caméra sur un mégot encore fumant, ou en laissant traîner la caméra sur un plan simple déserté par les personnages, le cinéaste installe une langueur à la fois triste et agréable, tout un univers invisible qui reste à découvrir une fois la projection terminée. Sans début ni fin véritables, les films de Hong Sang-soo sont autant des parenthèses que des cycles voués à perdurer sans que notre regard porté sur eux les rendent réels, et le spectateur emporte avec lui le mystère de la charmante Haewon encore longtemps après l'avoir croisée.

Écrit par Emmanuel Chirache
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