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La Poussière du temps

  • Cinéma
  • 4 sur 5 étoiles
  • Recommandé
La Poussière du temps
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Time Out dit

4 sur 5 étoiles

Poème lyrique, fresque historique, saga sentimentale, essai sur la mémoire et la mort… Inutile de vouloir résumer ce long métrage, qui restera comme l’ultime de Theo Angelopoulos, ce serait un effort impossible et complètement vain. Disons seulement, donc, qu’un réalisateur américano-grec (Willem Defoe) tente d’y faire un film sur le parcours de ses parents (Irène Jacob et Michel Piccoli), séparés par les heurts de l’Histoire du XXe siècle. Outre la mise en abîme initiale (Defoe incarnant manifestement un double d’Angelopoulos), passé et présent, imaginaire et réel, cinéma et Histoire s’entrecroisent en permanence, jusqu’à développer une symphonie de temps et de lieux où abondent jeux de miroirs, chausse-trappes narratives et correspondances sensibles. Traversant six décennies et parcourant la Russie, l’Allemagne, l’Italie, le Kazakhstan ou les Etats-Unis, ‘La Poussière du temps’ n’a donc absolument rien d’un récit linéaire – ce dont on pouvait plus ou moins se douter venant du réalisateur de ‘L’Eternité et un jour’. En même temps, le titre du film annonce assez la couleur.

Comme on peut aussi l’imaginer, c’est plutôt contemplatif, et l’on a parfois la sensation étrange (mais profonde et douce) de suivre un tourbillon au ralenti. Malgré cette torpeur, la grande force du film est d’évacuer toute grandiloquence historique en envisageant le destin de l’Europe à travers le prisme de l’intimité et le destin d’une femme, Eleni (une Irène Jacob superbement discrète, toute en intensité contenue). Cette dernière devait d’ailleurs incarner le fil directeur d’une trilogie, débutée en 2004 avec ‘Eleni : la terre qui pleure’ et dont ‘La Poussière du temps’ constituait le deuxième volet – avant qu’Angelopoulos ne décède tragiquement sur le tournage de ‘L’Autre Mer’ (dont le scénario traitait de la crise grecque), renversé par un flic à moto en janvier 2012. Or, pas la peine d’avoir un doctorat en onomastique pour le comprendre : Eleni traduit à elle seule le destin de la Grèce, celui du peuple hellène, et trouve ici son double dans une adolescente, petite-fille de la précédente (dont Willem Dafoe incarne donc le père) qui, fugueuse, semble ne voir d’issue que dans le suicide. Carnaval métaphorique et méditation sur l’évanescence du temps, ce testament d’Angelopoulos s’infuse ainsi, lentement mais sûrement, dans la conscience du spectateur, jusqu’à lui donner le tournis et lui communiquer sa mélancolie sourde, digne, crépusculaire, sans regret ni amertume. Le temps fuit, la mémoire s’évanouit, les êtres passent. Et la poussière, paradoxalement, en devient brutalement vivante.

Écrit par Alexandre Prouvèze
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