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Le Challat de Tunis

  • Cinéma
  • 4 sur 5 étoiles
  • Recommandé
Le Challat de Tunis
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Time Out dit

4 sur 5 étoiles

En 2003, Tunis est le cadre d'une légende urbaine qui ne parvient pas, à l'époque, de notre côté de la Méditerranée. Sur une mobylette, un homme armé d'un rasoir balafrerait les fesses des femmes trop légèrement vêtues à son goût. Entre scénario de film d'horreur et comédie de mœurs, l'histoire reste longtemps dans un coin de l'esprit de Kaouther Ben Hania. Après deux courts métrages de fiction – 'Moi, ma sœur et la chose' (2006) et 'Pot de colle' (2013) – très remarqués en festivals et le documentaire 'Les imams vont à l'école' (2010), la réalisatrice s'empare du sujet dans 'Le Challat de Tunis'.

Comme toute rumeur, celle de ce « balafreur » a sa part de vérité et sa part de fantasmes, et Ben Hania assume avec humour cette donnée en optant pour le genre du « documenteur ». Dans la lignée de 'Punishment Park' (1971) de Peter Watkins ou de 'Zelig' (1983) de Woody Allen, 'Le Challat de Tunis' tourne en dérision les codes désuets du reportage d'investigation. Première protagoniste de sa vraie-fausse enquête sur le Challat, Kaouther Ben Hania se met elle-même en scène dans le rôle d'une réalisatrice curieuse, déterminée à faire le jour sur un fait divers vieux de dix ans.

Une idée d'autant plus incongrue que la révolution est passée par là ? Au contraire. En partant sur les traces de son Jack l'Eventreur tunisien, Kaouther Ben Hania questionne ce qui résiste au changement. La misogynie surtout, qui poursuit discrètement son œuvre derrière le mythe de la femme tunisienne, la plus libre du monde arabe. Jallel Dridi incarne cette haine de la femme avec un subtil mélange de bouffonnerie et de monstruosité. Repris de justice incarcéré en 2003 à la place du vrai Challat qui n'a jamais été inquiété, le jeune homme est dans le documenteur de Kaouther Ben Hania un faux « balafreur » fier de sa réputation de criminel misogyne.

Qu'ils soient réels – comme Jallel Dridi, sa mère et ses victimes – ou inventés, les personnages du 'Challat de Tunis' sont tous interprétés par des comédiens non professionnels. La fiction volontairement masquée derrière le sérieux du documentaire y gagne un précieux effet d'authenticité. C'est là le principal ressort comique du film. À force de brouiller les frontières entre fiction et réalité, Kaouther Ben Hania interroge les limites du documentaire. Elle le désacralise, place l'image sous le signe du doute, en accompagnant bon nombre de ses plans d'une réflexion subtile sur leur fabrication.

Dans le Tunis de la réalisatrice règne un absurde qui rit de lui-même sans jamais s'écarter du champ des possibles. Une ville qui engendre un Challat peut bien en engendrer cent. Marwene Clash, concepteur d'un jeu vidéo où le Challat en mobylette doit balafrer les femmes habillées à l'occidentale, aurait par exemple très bien pu exister. Son jeu inventé pour les besoins du film a d'ailleurs donné lieu à un jeu réel où, au lieu de taillader des postérieurs, le joueur doit empêcher le Challat d'atteindre ses proies. Le virginomètre, appareil électronique fantaisiste dont Jallel se sert pour détecter la virginité de sa fiancée, n'a pas encore connu la même gloire. Mais l'absurde a des ressources dont on ne doute plus en sortant du 'Challat de Tunis'.

Écrit par Anaïs Heluin
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