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Le Cheval de Turin

  • Cinéma
  • 5 sur 5 étoiles
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Le Cheval de Turin
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Time Out dit

5 sur 5 étoiles

Ours d’argent au Festival de Berlin 2011, 'Le Cheval de Turin' est un film âpre, funeste, ultra-nihiliste. Et pourtant d’une immense foi dans le pouvoir du cinéma... mais d’un cinéma à l’agonie.

Déjà, Béla Tarr n’a pas franchement une réputation de cinéaste facile. Il aurait même tendance à faire passer Lars Von Trier pour un potache hystérique. Ici, faim, désespoir, mortification sont les réjouissances qui traversent l’esprit, au fur et à mesure qu’une poignée de scènes décharnées se répètent dans une infinie lassitude. Un peu comme du Beckett, mais sans humour ni dialogue, filmé par le Warhol de 'Empire'. Autant dire, c’est râpeux. Et superbement glaçant.

Le synopsis : un vieil homme, sa fille et leur cheval (qui, pour l’anecdote, aurait déclenché la folie de Nietzsche) vivent isolés dans une bâtisse croulante. Les jours se suivent, identiques. Dehors, la tempête gronde. C’est tout. Ou presque. Pendant deux heures et demie. Parfois aussi, le vieux et sa fille mangent des patates avec les doigts.

Bref, on assiste démuni à un accablement indescriptible, infini tunnel de lourdeur que le dispositif minimal de Tarr, enchaînant les plans fixes par de lents mouvements de steadicam, capte avec une raideur implacable. Très contrasté, le noir et blanc est d’une profondeur flippante, et le son, rare, fait presque exclusivement dialoguer le crescendo du vent et les boucles en lambeaux du compositeur Mihály Víg. Au final, chaque séquence paraît d’autant plus puissante qu’elle est plombée. Tout y est effondré, inconsolable, déjà mort. Une liquidation totale.

Pour comble de la désolation, Béla Tarr affirme que ce film est, et restera, son dernier ; le public ayant déserté depuis belle lurette son cinéma méditatif. Pourtant, s’il faut effectivement une bonne dose de volonté pour ne pas se pendre avant la fin du film, la puissance évocatrice et picturale du 'Cheval de Turin' n’en est pas moins scotchante. Tamisant la part obscure de l’être dans son cheminement vers l'effondrement inéluctable, le cinéma de Béla Tarr offre une expérience radicale des limites de la représentation à travers le temps. Sa lenteur souveraine fait toute sa force et de cette oeuvre ultime une expérience sensible rare.

Parfois proche de certains films d’Alexandre Sokourov (on peut penser à la pietà inversée de 'Mère et fils'), 'Le Cheval de Turin' renvoie à la peinture religieuse et à la frugalité de la photographie – comme un document brutal sur l’absence de Dieu, où la métaphysique se serait révélée un puits à sec. Sommet de noirceur d’une beauté insupportable, 'Le Cheval de Turin' ne nous laisse pas le moindre espoir. En sortant, on se dit qu’on aimerait quand même pouvoir lui donner tort. Mais en fait, non.

Écrit par Alexandre Prouvèze
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