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Les Ogres

  • Cinéma
  • 5 sur 5 étoiles
  • Recommandé
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Time Out dit

5 sur 5 étoiles

En suivant une troupe de théâtre itinérant, ‘Les Ogres’ filme avec brio l’excès des sentiments et la confusion entre scène et coulisses.

Léa Fehner a l’art du contre-pied. Alors qu’on l’avait quittée sur ‘Qu’un seul tienne et les autres suivront’, film serré et cadenassé dont l’espace se limitait en grande partie à un parloir de prison, elle opte cette fois-ci pour la liberté et l’air pur dans une fresque aux allures de road-movie. ‘Les Ogres’ nous embarque dans les aventures d’une troupe de théâtre itinérante, vagabondant de ville en ville, interprétant deux pièces de Tchekhov en une : ‘L’Ours’ et ‘La Noce’. Si cette histoire est grandement inspirée de la sienne – ses parents interprètent d’ailleurs les deux rôles principaux –, Fehner réussit brillamment à concilier l’hommage et l’absence d’idéalisation (des parents, du théâtre itinérant) dans un film solaire gorgé d’âpreté. Ca crie, ça rit, ça se bourre la gueule à la vodka ou ça se bastonne tout au long de ces 2h20 palpitantes.

Encore mieux : la réalisatrice prend le contre-pied parfait d’un cinéma français bien trop souvent enfermé dans les codes de la comédie, et manquant parfois cruellement de vitalité. Ici, c’est tout l’inverse tant ‘Les Ogres’ en déborde. Cette œuvre à l’énergie abondante montre avec aplomb ce qui est si rare dans les créations hexagonales : l’aventure collective. La douzaine de personnages est décortiquée en tant que groupe ou entités individuelles dans un vrai exercice feuilletonesque. La caméra les suit de manière circulaire, décroche de l’un pour en filmer un autre, elle tourbillonne en permanence pour exploiter la grande joie et la grande douleur du vivre ensemble, la perte d’intimité des individus. On pense notamment à cette scène tragicomique où l’infidélité de la mère est exposée à tous au microphone, ou à la vente aux enchères de cette même femme et « ses 30 ans de loyaux services ». Et autant dire que si l’on s'attache très vite à chacun d’eux, c’est aussi grâce à l’interprétation des acteurs – Marc Barbé en tête, ou Adèle Haenel captant la lumière de tout son talent.

Ce film semble faire écho à Renoir et ce rapport selon lequel la vie est une scène et la scène est une vie. Du fait que les personnages renoncent à toute vie privée et s’exposent à tout ressenti (désirs sexuels, bonheurs, peines), tous sont portés par l’excès des sentiments, la représentation de soi en permanence. Le théâtre devient omniprésent, envahit tout l’espace, et brouille la mince frontière qui le sépare de la vie réelle. Le tout est extrêmement bien maîtrisé et place le spectateur au cœur du dispositif. Définitivement, on est heureux de voir, enfin, un film hystérique, un film d’excès, un film qui ose, tout simplement. Immanquable.

Houssine Bouchama
Écrit par
Houssine Bouchama
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