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L'Expérience Blocher

  • Cinéma
  • 3 sur 5 étoiles
  • Recommandé
L'Expérience Blocher
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Time Out dit

3 sur 5 étoiles

Pour vous figurer vite fait la personnalité et le parcours du politicien suisse Christoph Blocher, imaginez donc une sorte de croisement entre Jean-Marie Le Pen et Serge Dassault, avec des bouts de Berlusconi à l’intérieur. Flippant, hein. Entre droite populiste et industrie lourde, Blocher, xénophobe pépère et chef d’entreprise à la fortune colossale, représente ainsi à la fois le capitalisme décomplexé et un indéniable refus de l’altérité – déguisé en « identité nationale », selon un discours qu’on commence à bien connaître.

Trois ans après ‘Cleveland contre Wall Street’, le documentariste Jean-Stéphane Brion se confronte à ce mastodonte de la politique helvète, avec l’idée de sonder l’actuelle tendance européenne au repli nationaliste. Car la stratégie de Brocher, et sa réussite électorale (encore confirmée, le 9 février dernier, par l’initiative populaire suisse « contre l’immigration de masse »), apparaissent comme une matrice essentielle des actuels partis d’extrême droite en Europe. Autrement dit, le sujet est à la fois singulier (historiquement suisse) et global, renvoyant à la triste situation du champ politique sur le Vieux Continent – qu'on aurait presque envie de rebaptiser « Vieil Incontinent », mais passons.

Malgré son projet passionnant, le film rencontre toutefois deux limites. La première tient, assez évidemment, à la complexité de sa problématique. Soit : comment contenir les extrémismes dans une situation où le politique, impuissant, flanche ostensiblement devant les lobbys et les dogmes économiques ? Or, plutôt que de creuser la question plus avant, ‘L’Expérience Blocher’ se contente de l’énoncer, de l’éclairer, sans jamais tenter de la résoudre. On en souhaiterait davantage. Pourtant, on ne saurait blâmer le documentaire de Brion de son humilité, se contentant de brosser le portrait d’un animal politique, pour finalement renvoyer le spectateur à ses propres réflexions politiques. Ce qui est frustrant, mais fécond.

En revanche, si le film semble parfois dans l’impasse, cela tient à l’homme même auquel Brion fait face. Car Blocher, orateur habile, roué, par moments presque sympathique, ne se laisse pas cuisiner si facilement. Il fallait bien s’en douter. Du coup, le film devient aussi son film, et Brion, peinant parfois à se le réapproprier, se trouve dans la nécessité de commenter, en voix-off, les propos et attitudes de Blocher, auquel il échoue à apporter la contradiction lors de leurs face-à-face. Au fond, ‘L’Expérience Blocher’ se découvre ainsi démuni face à la montée en puissance de discours d’extrême droite désormais banalisés. Cette limite du film, c'est donc aussi la nôtre, celle des « démocraties » européennes d'aujourd'hui, exsangues et apeurées. Autant dire qu'on n’en sort pas vraiment avec le sourire. Mais ‘L’Expérience Blocher’ a en tout cas le mérite de mettre sur la table une question d’actualité dense et complexe, à l’approche des prochaines élections. Qui risquent de ne pas nous faire marrer des masses non plus.

Écrit par Alexandre Prouvèze
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