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Paco de Lucía : légende du flamenco

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Paco de Lucia
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Time Out dit

4 sur 5 étoiles

« Je m'appelle tout simplement Paco de Lucía car en Andalousie, beaucoup de gamins s'appellent Pepe ou Paco. J'étais celui de Lúcia, la Portugaise. » C'est avec ces mots que le Maestro (encore jeunot) se présenta lors d'une émission télé espagnole. En 2014, l’année de sa mort, son fils, Curro Sanchéz, a réalisé ce documentaire qui retrace avec une douce bienveillance la carrière de son illustre père, qui repoussa toutes les limites du flamenco traditionnel.

A Algésiras en Andalousie, le guitariste vivait parmi ses frères et ses parents, mélomanes et sans le sou. Comme le père d'un certain Wolfgang Amadeus Mozart, Antonio Sánchez Pecino, paternel de Paco, emmènera ses fils à travers l'Espagne, notamment à Madrid, pour montrer le talent de sa progéniture. Toutefois, la future star devait être Pepe, l'aîné, bon chanteur, mais pas réellement consumé par la passion du flamenco. Ce sera son petit frère Paco, plus discret, qui montrera alors qu'il possède l'étoffe d'un grand musicien. Il écoute. Il décompose. Il pense le rythme. « Je savais déjà appréhender la musique avant d'avoir touché une guitare. Ce fut très simple pour moi d'en tenir une par la suite... Le rythme restera une obsession. »

Paco de Lucía se fera adorer du grand public par la télévision. Sa personnalité timide, parfois à la limite de l'introversion, fascine l'Espagne et au-delà. Sa posture, son allure tranchent avec les canons de l'époque pour les guitaristes. Droit comme un « i », le visage impénétrable, il livre une musique passionnée, qu'il déroule avec une perfection et une fluidité nouvelles. Sa collaboration avec le chanteur gitan Camarón de la Isla sera un tournant pour lui. Il aime le chant, accompagner les voix et, par la suite, créer sa propre musique. Un peu malgré lui, car Paco n’improvise alors que rarement.

Un soir d'enregistrement, une petite révolution naît pourtant de son imagination : « A cette époque il y avait une urgence : le public. Il fallait produire, je devais trouver une idée et vite. C'est alors que j'ai réuni une basse et un bongo. On a tenté quelque chose, c'est devenu "Entre Dos Aguas" ». A la fois malédiction et bénédiction, ce titre aux accents de rumba, joué des millions de fois sur toutes les scènes du globe, provoquera une sorte de schisme dans la science du flamenco. Depuis ce succès, on prendra soin de Paco, on l'écartera un peu de son berceau andalou, on en fera une star en somme. Une vraie star du flamenco.

Son triomphe entraînera le courroux des papes de la guitare flamenca. Certains, par jalousie, diront que Paco n'est même pas un musicien, simplement un guitariste aux doigts malins. Pour d'autres, il vit avec son époque, il avance, innove, se nourrit de la musique afro-américaine. Il collabore avec John McLaughlin, rencontre Carlos Santana, s'entoure de pianistes de jazz tels que Chick Corea.

Retraçant son ascension vers la célébrité dans les années soixante, puis son accession au statut de star mondiale au cours des décennies suivantes, ce documentaire est une superbe réussite, une reconstitution à la fois humble et brillante. Le fils explore le père, à travers des archives télévisuelles et photographiques, tantôt comme un admirateur de la première heure mais aussi avec un œil critique, parfois sceptique quant à sa personnalité.

Curro Sanchéz filme Paco lors d'un concert à Ottawa en 2012, s'invite dans sa maison de Majorque, découvre un peu la solitude de son père, qui s'est finalement retiré du tumulte. On le voit bidouiller son Mac, ses petites lunettes au bout du nez, limer ses ongles comme un luthier travaillerait le bois. Entre deux questions, il confie, comme un regret un peu avoué à son fils : « Malgré tout, je dirais que j'ai vécu 80 % de ma vie seul. On dit souvent que les guitaristes sont des fous. J'ai connu mes démons, mais personne ne les a remarqués. » L’an dernier, c'est face à la mer que le cœur du génie s'est arrêté. Quelque part au Mexique, deux jours avant la fin du tournage de ce film. Il avait 66 ans. Mais sa musique est restée. Elle, ne part jamais.

Écrit par
Hannah Benayoun
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