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Saint Amour

  • Cinéma
  • 4 sur 5 étoiles
  • Recommandé
Saint Amour
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Time Out dit

4 sur 5 étoiles

La route des vins tendre, drôle et émouvante de Poelvoorde et Depardieu, filmée par le tandem grolandais Delépine-Kervern.

Evidemment, étant donné son titre, son thème (une route des vins à travers l’Hexagone), son tandem de réalisateurs (Delépine et Kervern) et ses têtes d’affiche (Gérard Depardieu, Benoît Poelvoorde…), ‘Saint Amour’ aurait tout pour constituer une immense célébration de l’ivresse, une exubérante ode au pinard, aux excès et à la joie de vivre rabelaisienne. Ce qui est effectivement le cas. Mais pas seulement. Car là où le nouveau film des cinéastes grolandais étonne, intrigue et fait finalement mouche, c’est d’abord par sa tonalité inattendue et assez singulière : mélancolique, blessée, à la recherche d’une émotion brute, toute simple, mais extrêmement juste et humaine. Alors, ‘Saint Amour’ prend un tout autre sens, qui excède – et d’assez loin – ses références viticoles.

Tout commence donc au Salon de l’Agriculture, où Bruno (Benoît Poelvoorde) s’organise une pseudo-route des vins, picolant dru de stand en stand. Première remarque : dès le début du film, ce rôle de quadra n’ayant pas passé le cap de la crise d’ado, de clown triste alcoolique, mal dans sa peau, en équilibre instable entre autodérision et autodestruction, apparaît comme l’un des meilleurs récemment interprétés par l’acteur. Triste et touchant, Bruno l’est même tellement qu’il va émouvoir son père, Jean (Gérard Depardieu), agriculteur exposant au salon, qui décide d’embarquer son fiston dans une véritable route des vins à travers la France, dans le taxi du jeune Mike (Vincent Lacoste, révélé par ‘Les Beaux Gosses’ de Riad Sattouf en 2009). Or, si Poelvoorde interprète à l’évidence le grand désespéré du film, les personnages de Depardieu (qui joue comme au ralenti, fourbu, accablé par un passé trop lourd) et Lacoste (à la fois arrogant et enfantin) vont eux aussi bientôt révéler leurs fêlures.

Ce trio transgénérationnel, d’apparence joyeuse mais bourré de spleen, apparaît comme la première grande idée de ‘Saint Amour’. Ou comment, de 20 à 70 ans, les échecs amoureux, la nostalgie de ce qu’on aurait pu être (même lorsqu’on est jeune) alourdissent l’âme, la chargent, la plombent de regrets. Or, la deuxième belle source d’inspiration du film, ce sont ses seconds rôles : Michel Houellebecq (voix de velours, silhouette inquiète) en loueur de chambres d’hôtes, à la fois doux et tragique, Izïa Higelin en amoureuse tétraplégique, Ovidie en agent immobilier, Chiara Mastroianni dans une baraque à frites… Chacune de ces rencontres, assez typiques du road-movie, ajoute en effet une couleur à l’ensemble, le teintant ici et là de tristesse (souvent) ou d’enthousiasme (parfois)… Jusqu’à la rencontre finale avec Céline Sallette en Vénus, véritable déesse ex machina du film, qui l’emporte vers une forme de surréalisme tendre, léger… et en même temps émotionnellement déchirant. Certes, ‘Saint Amour’ a ses temps de latence, d’hésitations – qui peuvent d’ailleurs rappeler le rythme cahotant de certains films de Bertrand Blier. Mais il est comme une goutte de rouge qui fait déborder le cœur. Et l’on ne s’attendait franchement pas, devant un projet aussi drôle et farfelu, à se retrouver ainsi la gorge nouée.

Écrit par
Alexandre Prouvèze
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