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Quand Martin Scorsese décide de tenir à distance les combats de coqs qui l'ont rendu célèbre - entre taureaux rageurs ('Raging Bull'), rois de comédie ou loups de Wall Street - les résultats peuvent être étonnants. Témoignant de cette facette plus élégiaque du cinéaste, trois films lèvent le voile sur un aspect parfois méconnu de son oeuvre, tourné vers la spiritualité : 'La Dernière Tentation du Christ' (1988), 'Le Temps de l'innocence' (1993) et, désormais, 'Silence', parabole furieusement vivante et dense sur la foi, ancrée dans le Japon du XVIIe siècle, qui se classe d'emblée parmi ce que le cinéma a su donner de mieux en termes de quête mystique.
Comme souvent avec Scorsese, 'Silence' est une oeuvre rongée, consumée par le doute, l'ego et le sacrifice - en l'occurrence, celui de deux missionnaires portugais, tout de noir vêtus, plongés dans un environnement hostile qui finira par les briser. Mais la subtilité du film est ailleurs. Inspiré d'un roman de 1963 de Shûsaku Endô, 'Silence' est un projet qui obsède Scorsese depuis près de 30 ans. Et cela se sent : le résultat donnant un long métrage décharné, sans gestes superflus, comme une agonie intime. C'est aussi sans doute le film le plus mature de Scorsese ; presque totalement exempt d'humour, mais vibrant de passion, provocant, apocalyptique et d'une brûlante force de conviction.
Deux jésuites barbus, l'idéaliste Rodrigues (Andrew Garfield, l'œil humide et encore plein d'espoir) et son robuste homologue Garrpe (Adam Driver) constituent une « armée à deux », traversant un Japon recouvert de fumée et de mystère, à mi-chemin entre celui des films d'Akira Kurosawa (l'un des réalisateurs favoris et grands maîtres de Martin Scorsese) et un paradis naturel - le directeur de la photographie Rodrigo Prieto baignant l'imagerie du Japon médiéval de gris cendrés et d'un soleil rare et précieux, en lutte pour pénétrer l'obscurité. Les deux hommes cherchent ici leur mentor, Ferreira (Liam Neeson), disparu depuis des années.
Alors même que 'Silence' établit peu à peu une tension entre ces missionnaires bien intentionnés (mais étrangers à la culture qu'ils pénètrent), des potentats locaux qui les traquent comme des envahisseurs, et des convertis effrayés, on peut déjà sentir le film se diriger vers une question plus large, un affrontement plus profond. Ce clash sourd, attendu et bouillonnant, transformera alors, après moult revers, le silence - celui des hommes comme celui de Dieu - en une déclaration, puissante et universelle, sur la puissance menaçante de la colonisation. Une oeuvre mystique et puissante, qu'on n'a manifestement pas fini de méditer.