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Sugar Man

  • Cinéma
  • 4 sur 5 étoiles
  • Recommandé
Sixto Rodriguez - Sugar Man
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Time Out dit

4 sur 5 étoiles

L’histoire authentique de Sixto Rodriguez est à la fois une leçon de sagesse rare, un conte et une interrogation laissée lettre morte : à quoi peut bien tenir la réussite ou l’échec d’un immense artiste ? Redécouvert en 2008, lorsque le label Light In The Attic s’intéresse à son destin hors du commun et réédite ses deux chefs-d’œuvre sortis dans l’indifférence générale au début des années 1970, Rodriguez est un chanteur-compositeur de génie qui n’aura pourtant jamais laissé une trace indélébile dans l’histoire du rock. Mais ça, c’était avant. Avant que les activistes anti-Apartheid de la classe moyenne blanche sud-africaine ne s’emparent de ses chansons pour en faire la bande-son, voire le symbole de leur lutte.

C’est d’ailleurs sur les hauteurs du Cap que débute le formidable documentaire de Malik Bendjelloul. On suit dans un premier temps l’histoire de Stephen "Sugar" Segermen, un disquaire, et Craig Bartholomew, un journaliste, qui ont enquêté il y a près de vingt ans sur le mystère Sixto Rodriguez. Car si ses disques se sont vendus par centaines de milliers en Afrique du Sud, personne ne sait rien sur ce chanteur aux paroles libératrices, qui évoquent crûment sexe, drogue et contestation sociale. La rumeur dit même qu’il se serait suicidé en s’immolant sur scène. Pas à pas, le cinéaste retrace donc l’ancien itinéraire des deux enquêteurs, désireux de faire la lumière sur sa vie et sa mort. Après plusieurs pistes vaines, ne restent plus pour indices que les textes mêmes du chanteur, sorte de pierre de Rosette que les deux hommes s’échinent à décrypter. Un vers du morceau "Inner City Blues" les mène finalement à Détroit, où ils apprennent cette nouvelle époustouflante : Sixto Rodriguez est bien vivant et il n’a pas quitté la ville qui l’a vu naître, ignorant tout de sa célébrité du bout du monde. A cet instant, l’aventure s’arrête pour Stephen Segermen et Craig Bartholomew, mais elle commence pour Rodriguez et prend une autre dimension pour le spectateur.

A l’aide de magnifiques travellings (et de deux ou trois animations façon dessin animé), Malik Bendjelloul nous promène alors dans les rues sombres des bas-fonds de Motor City, là où Rodriguez avait pour habitude d’écumer les bars interlopes avec sa guitare acoustique et ses cheveux longs de mohican. Presque aveugle, le regard fuyant sous des lunettes noires et le geste mal assuré, le chanteur répond laconiquement aux questions de Bendjelloul, comme s’il ne voulait pas lever l’épais brouillard qui entoure son histoire. Sixième enfant d’une famille d’immigrés mexicains, il mène toujours aujourd’hui une existence chiche et rude, celle d’un ouvrier du bâtiment qui n’a jamais cessé de travailler. De son échec dans le business de la musique, il ne garde aucun ressentiment. Il ne fanfaronne pas non plus en entendant les éloges qui pleuvent désormais sur sa tête. Avec un peu de chance, Rodriguez aurait pu devenir une sorte de Bob Dylan latino, un anticonformiste surdoué, porte-parole des démunis par la grâce de fulgurances musicales somptueuses. Pourquoi a-t-il échoué malgré deux disques parfaits ? Rien dans le documentaire ne vient éclaircir cet autre mystère.

Ceux qui, comme l’auteur de ces lignes, connaissent déjà le destin incroyable de Sixto Rodriguez grâce aux rééditions de Light In The Attic, n’apprendront pas forcément grand-chose en voyant 'Sugar Man', mais ils se feront une joie d’entendre enfin les protagonistes de cette histoire. Si la réalisation n’est pas toujours à la hauteur du récit, les témoignages sont en revanche souvent passionnants, Bendjelloul parvenant habilement à tirer le meilleur de chacun. Difficile de ne pas s’émouvoir lorsqu’un dur à cuire comme Steve Rowland, le producteur de ‘Coming From Reality’, pleure en écoutant la poignante chanson "Cause". « C’est une honte, personne aux Etats-Unis n’a jamais entendu parler de Rodriguez » regrette-t-il amèrement. Surtout, les images d’archive prêtées par l’une des filles de Sixto Rodriguez permettent d’assister au concert exceptionnel donné au Cap en 1998, retrouvailles surréalistes entre un public qui n’a pas oublié la musique et un artiste que tous croyaient mort. Quand les premières notes à la basse de "I Wonder" résonnent dans la salle et que Rodriguez pénètre dans l’auditorium, les spectateurs lui offrent une standing ovation de dix minutes, moment grandiose qui conjure une injustice criante. Car il faut le dire : pour ceux qui ne connaissent pas Sixto Rodriguez, ce documentaire sera avant tout, on l’espère, l’occasion d’un coup de foudre avec des chansons vibrantes, dont on tombe amoureux au premier accord de guitare.

Pour ceux qui veulent en savoir plus sur sa musique, voici deux critiques de disques :

Critique de 'Cold Fact'.

Critique de 'Coming From Reality'.

Écrit par Emmanuel Chirache
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