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Rencontre avec Alain Thébault, l'inventeur des Sea Bubbles, en juin 2017 sur la Seine

Écrit par
Charline Lecarpentier
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Oiseau du large comme il le dit lui-même, croisement entre Saint-Exupéry et Elon Musk, le navigateur et recordman de vitesse à la voile Alain Thébault veut donner des ailes - immergées dans les fleuves, les lacs, les baies - aux transports citadins avec ses Sea Bubbles, des capsules à moteur électrique. Son invention dans la continuité de l'hydroptère, le bateau volant dont il rêvait enfant et auquel il a su donner forme, est la promesse d'un désengorgement des berges qui passionne déjà les métropoles du monde. Elles seront testées en première mondiale en juin à Paris sur la Seine.

Pour Time Out, il a dégagé une plage de temps sur son agenda entre quelques rendez-vous avec Mark Zuckerberg et Poutine, en toute simplicité.

L'hydroptère, inspiration des Sea Bubbles.

Quel moyen de transport avez-vous utilisé pour venir jusqu’au bar de cet hôtel aujourd’hui ?

J’avais rendez-vous avec une délégation russe à l’hôtel George V tout à côté et je suis venu à pied, mais normalement je me déplace sur mon petit vélo vert, un Brompton.

Comment expliquez-vous que cette idée de se déplacer en Sea Bubble vienne d’experts des océans et pas d’experts en urbanisme et en transport ?

Souvent les bonnes idées viennent de l’extérieur. Il faut raisonner au-delà des diplômes, des formations, des cursus des uns et des autres. Quand on est un oiseau du large et qu’on arrive dans une grande ville, on se dit que c’est irrespirable. Anders Bringdal, mon associé suédois, m'a dit un jour : « J'entendais parler de Paris la Ville Lumière, mais la seule lumière que je vois c’est celle des phares de la voiture d’en face. » Moi j’aime les idées simples et quand on regarde l’histoire de l’humanité, les hommes ont d’abord créé des villes sur des fleuves, des baies, des lacs ou au bord de la mer. Avec le développement des civilisations et de la technologie, ils ont commencé à inonder les berges, des endroits qui étaient utilisés par les piétons et les charrettes en bois.

Après avoir traversé un océan de détritus (le Pacific Garbage Patch), je suis arrivé à Hawaï avec mon ami Bertrand Picard, l’un porté par le vent et l’autre par le soleil ! Sur le ponton, mes trois filles qui m'attendaient m’ont dit : « Papa, tu as vendu la maison pour rester libre, c’est bien, mais nous, on vit dans des grandes villes polluées : Paris, San Francisco et Londres. Toi, tu as passé ta vie à faire voler des bateaux, mais pourrais-tu faire voler tout le monde dans les grandes villes sans polluer ? » De là, j’ai pris mon cahier vert et j’ai dessiné les Sea Bubbles. Je suis allé voir Anders Bringdal, mon copilote pour le record mondial de vitesse à la voile, mais aussi Henri Seydoux qui m’avait prêté des drones pour faire des images sur la traversée du Pacifique. C’est ainsi qu’est né Sea Bubble.

Alain et Anders

On a la faculté de faire voler tout le monde sur un mode zéro bruit, zéro vague, zéro émission, c’est pourquoi il y a un engouement mondial. Je dois aller voir le président Poutine avant le mois de juin, on va aller voir Mark Zuckerberg dans la Silicon Valley à notre retour de Chicago dans la deuxième quinzaine de mars. Hier, j’étais à Londres car le 10 Downing Street veut nous voir. Sur la Tamise, ils sont plus évolués qu’en France, où la réglementation est très contraignante : la limite de vitesse est de 12 ou 18 km/h alors qu’à Londres il n’y en a pas. On ne se réappropriera les lacs, les fleuves et les baies que quand on libérera la vitesse, c’est là ma vision pour la ville de demain. Le problème des bateaux archimédiens qui sont posés sur l’eau, c’est qu’ils génèrent des vagues, mais le grand avantage d’un bateau qui décolle c’est que vous coupez l’eau et n'en générez pas.

« Nul n’est prophète en son pays »

Ce système dérange-t-il certaines personnes ?

Par rapport aux bateaux qui existent, notre Sea Bubble c’est un peu l’iPhone à l’époque Nokia, donc je pense qu’on dérange quelques personnes qui sont déjà là. Mais ce qui dérange le plus les riverains ce sont les vedettes de Bercy du ministère des Finances, qui sont au-dessus des lois, ça me choque en tant que citoyen. Ce sont les ministres de Bercy, monsieur Sapin et monsieur Eckert, qui se déplacent sur des vedettes qui provoquent beaucoup de vagues, cassent la vaisselle sur les péniches, ils se croient tout permis. Les onze douaniers qui pilotent ces vedettes ont été les premiers à vouloir des Sea Bubbles. Ils ont honte d’avoir des ministres qui leur demandent d’y aller à fond car ils sont pressés alors que ça dérange tout le monde. Pourquoi Batobus ne marche pas très bien et Voguéo n’a pas très bien marché ? C’est parce que la vitesse est trop faible. Cette idée de Bubble, on l’utilise en Europe d’abord avec un pilote puis sans pilote aux Etats-Unis.

Quand les bulles vont se plugger, à la manière d’un Vélib, on va se recharger dans le dock où y a des batteries, alimentées par des hydroliennes. Cependant sur la Seine, il y a un nœud de courant et ça ne va pas très bien marcher. En revanche à New York oui, il y aura aussi des panneaux solaires sur le toit. On vise dans certaines villes à être énergétiquement autonomes mais Paris qui est la ville pilote, on ne le sera pas car il n’y a pas assez de courant. Mais comme Anne Hidalgo a donné une impulsion décisive à ce projet, par fidélité pour elle et ses équipes, on veut déployer Sea Bubble au début dans Paris, bien que ce soit la ville la plus compliquée d’un point de vue administratif.

Le port autonome de Paris ne nous accorde que deux semaines pour être dans Paris. Face à ça, on a potentiellement une commande de 500 bulles à San Francisco mais aussi dans 15 villes en Inde qui veulent s’équiper de Sea Bubbles. On a des marques d'intérêt importantes du côté de Lausanne et Genève sur le lac Léman, mais aussi en Allemagne, à Londres et comme on ne peut pas produire pour tout le monde mais aussi du fait du millefeuille administratif français, on va probablement commencer à opérer dans d’autres villes. C’est triste, mais nul n’est prophète en son pays.

En France, on invente beaucoup de choses, mais des gens empilés dans des bureaux semblent être dérangés par cette évolution naturelle. Pourtant, elle permettra plus de respiration pour les poumons de nos enfants grâce à l’utilisation, sur un mode 100 % green, des fleuves, des lacs et des baies. Cela représente aussi des centaines d’emplois et la création d’une usine dont la localisation dépendra des présidentielles. Emmanuel Macron a été le premier à vouloir commander des Sea Bubbles pour Bercy. J’aimerais qu’on reste en France, mais pour l’instant on n’en prend pas vraiment le chemin. 

Quelle sera la formation pour conduire une bulle ?

La réglementation impose un pilote en France mais la bulle est conçue de telle manière qu'elle vole seule, avec un volant, une manette, des gaz. Au départ, il y aura  un chauffeur mais Anders a rencontré Google X à Tokyo et on va commencer à travailler sur une version sans pilote. Je veux que ce soit accessible à tout le monde, ce sera proche du tarif d'un taxi ou d'un Chauffeur Privé ou Uber, 10 € pour traverser la ville.

Quelles sensations a-t-on dans une Sea Bubble ?

On a l'impression de faire du tapis volant, comme dans l'hydroptère que j'ai développé pendant vingt ans. Quand vous décollez, vous ne subissez plus le mouvement des vagues, comme en apesanteur.

Au départ, beaucoup de gens pensaient qu'Elon Musk était fou avec son projet d'Hyperloop qui finalement se concrétise peu à peu. Les gens ont-ils douté de votre projet aussi ?

Beaucoup de gens me comparent à Elon Musk et j'ai beaucoup de respect pour lui, j'ai d'ailleurs visité son usine Tesla il y a un mois. C'est un grand monsieur, mais nous faisons des choses bien plus modestes. L'esprit est le même, probablement, celui d'une rupture technologique. Mais je vois bien qu'il n'y a pas de recharges Tesla sur les autoroutes, sûrement à cause des lobbys pétroliers ou des autoroutes. Il y a souvent des chemins de traverse, j'adore les chemins de traverse ! Ils sont bucoliques, c'est toujours plus long... Mais Anne Hidalgo nous invite à Chicago en mars pour présenter Sea Bubble à plusieurs dizaines de maires de villes américaines, ces Sea Bubbles n'ont pas de frontières, à l'image de l'air que respirent nos enfants.

« C'est le temps du partage, je veux faire voler tout le monde et contribuer au désengorgement des quais, des berges des grandes villes. » 

Un article de presse vous présente comme celui qui veut « ubériser la Seine »...

J'ai reçu des offres d'Uber, que j'ai refusées. Mais je me rends bien compte que ce sont des apps comme ça qui font avancer la société, elles sont très pratiques. Ce qu'il y a de moins bien avec Uber c'est le traitement social, prendre trop aux chauffeurs pour empiler les milliards aux Etats-Unis, et la pollution de leurs voitures. Je ne comprends pas que dans les milliards d'Uber, on n'en donne pas une partie aux chauffeurs pour qu'ils s'achètent une Zoé, une Prius ou une Tesla. C'est ce que j'ai dit aux dirigeants d'Uber et ça ne leur a pas plu, mais je suis un homme libre. J'ai vendu ma maison quand j'ai fait ma traversée du Pacifique, mon banquier m'a coupé ma carte bleue quand j'étais en mer parce que j'étais à découvert. L'argent n'est pas une fin en soi, mais un outil au service des rêves. J'ai vécu une partie de ma vie à satisfaire mon ego, j'ai fait voler des bateaux, c'était mon rêve d'enfant. Après j'ai battu le record mondial de vitesse à la voile et maintenant, j'ai 50 ans et c'est le temps du partage, je veux faire voler tout le monde et contribuer au désengorgement des quais, des berges des grandes villes. Le 27 juin, on va faire un événement de grande envergure à Paris pour présenter les Bubbles à Paris. 

Dans votre enfance, aviez-vous des rêves concernant l'avenir des villes, étiez-vous lecteur de Jules Verne par exemple ?

Non, quand j'étais petit je n'avais pas accès aux livres, j'avais une BD sur le Golden Gate et 'Le Petit Prince'. J'étais enfermé dans un pensionnat de jeunes filles en face de la maison de ma mère, j'avais un vasistas avec vue sur une gouttière et des oiseaux et je me disais : « Un jour, je volerai. » J'ai arrêté mes études pour faire de la planche à voile et du planeur et j'ai fait voler ce bateau. L'hydroptère a explosé quatre fois, on a chaviré en 2008 mais on a réussi et je suis très heureux que ça puisse déboucher sur ce projet de faire voler tout le monde.

Je travaille avec Philippe Perrier, ancien ingénieur de Dassault, et Boris Prat, retraité d'Airbus. On a repris la même équipe que pour l'hydroptère. Pour moi, un beau projet lie trois générations, il faut donner une place aux jeunes et ne pas écarter les anciens. 

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