Il est 20h05, les derniers retardataires gagnent les étages de la salle circulaire. Sur scène, dans un décor minimaliste aux accents bourgeois, les acteurs attendent patiemment que le calme se fasse. Puis, une fois tout le monde installé, les ouvreuses annoncent la couleur : la pièce dure plus de 2 heures sans entracte, et il est vivement déconseillé de sortir pendant les moments de noir. Et pour cause, les fulgurants changements de plateau s’opèrent durant d’obscurs interstices. Des tranches de vie, découpées, dans le désordre, sur différentes époques très éloignées les unes des autres, défilent : un maître attiré par son serviteur sur fond de Première Guerre mondiale, un M. Loyal mentaliste, un chevalier espagnol sur son destrier, des promeneurs perdus en forêt, un couple de Macbeth contemporains aux prises avec les promesses d’avenir de sorcières-clochardes, un vendeur de porte-à-porte, une séance de re-motivation assénée par un PDG hyperactif... Les schémas se répètent, l’éternelle dialectique du maître et du serviteur se décline (patron/employé, client/marchand) et pourtant à chaque noir l’effet de surprise et d’attente est imparable. Entassés dans de petits gradins, dans la pénombre de cette grandiloquente mise en scène de l’intimiste, sentiments de claustrophobie et d’ouverture se mêlent.
Etoile montante, Joël Pommerat souffle un vent d’air frais sur le théâtre. Tel un David Lynch de la scène, ses tableaux créent une véritable densité cinématographique. Réalités décousues, entrecoupées de phases oniriques surréalistes, le tout transposé dans une somptueuse scénographie pyrotechnique. Son, lumières et odeurs, nous entraînent dans la ronde d’un fascinant voyage au pays des sens et de la mémoire. Et ce n’est que le début : deux spectacles sont programmés à l’Odéon en 2012/2013 et ‘Ma chambre froide’, la seconde partie du diptyque, sera jouée aux ateliers Berthier en juin prochain.