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« Fatty » Arbuckle : la résurrection d’un génie maudit du cinéma burlesque

Écrit par
Alexandre Prouvèze
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Retour en salles de Roscoe « Fatty » Arbuckle, gloire du burlesque à la carrière brisée.

Vous ne connaissez probablement pas Roscoe Arbuckle… Ou alors, peut-être avez-vous entendu parler de cet imposant comique des premières années du cinéma sous le sobriquet plutôt vachard de « Fatty » – qu’on pourrait traduire, en vostfr, par quelque chose comme « gras-double » ou « grassouille ». Pas facile. Pourtant, Roscoe « Fatty » Arbuckle fut incontestablement l’une des plus grandes gloires du cinéma muet. Un maître du burlesque, tôt considéré comme le seul rival crédible de Charlie Chaplin, avec lequel il tournera d’ailleurs quelques courts métrages en 1914 (‘Charlot et Fatty dans le ring’, ‘Charlot et Fatty font la bombe’…).

Avec son impeccable sens du rythme, une souplesse de mouvements et une grâce de gestes incroyables – tranchant, de façon souvent hilarante, avec sa dégaine de bébé géant –, Fatty connut un succès phénoménal à la fin des années 1910. Né dans un bled du Kansas en 1887, Fatty est élevé à la rude par un père violent, dans une famille de neuf enfants. Mais devant ses dons artistiques (étonnamment souple malgré son gabarit, Fatty paraît aussi terriblement habile sur le plan vocal), sa mère l’encourage, dès son plus jeune âge, à embrasser une carrière de comédien-chanteur. Avant de mourir, alors que Fatty n’a que 12 ans.

D’abord sur les planches, puis devant la caméra (avec plus de cent courts métrages tournés entre 1913 et 1915, avant de réaliser lui-même ses films à partir de 1917), Fatty triomphe, bientôt accompagné d’un autre jeune génie comique, qu’il prend sous son aile pour plusieurs dizaines de films à succès : le débutant Buster Keaton. En 1919, la Paramount offre à Fatty un contrat faramineux d’un million de dollars par an, pour six films annuels. A l’orée des années 1920, tout semble donc aller comme sur des roulettes pour Arbuckle. Jusqu’à ce scandale retentissant qui, en 1921, mettra fin à sa carrière et restera comme l’une des premières grandes affaires détraquées d’Hollywood.

Dans son truculent recueil d’anecdotes ‘Babylone Hollywood’, le cinéaste Kenneth Anger raconte formidablement cette histoire sordide. Le 5 septembre 1921, lors d’une fête privée de plusieurs jours organisée par Fatty dans un hôtel californien, une jeune actrice, Virginia Rappe, 25 ans, mignonne comme tout et manifestement ivre-morte comme la plupart des invités, se tord de douleur, délire en déchirant ses vêtements avant de décéder quatre jours plus tard d’une péritonite due à une rupture de la vessie.

Selon une invitée présente à la fête, Maude Delmont, Rappe aurait été violée par Arbuckle. Arrêté le 11 septembre pour viol et homicide, Fatty fait alors les gros titres des journaux, rubrique « faits divers ». Et cela fait vendre. Beaucoup vendre. A tel point que les organes de presse du magnat William Randolph Hearst (dont Orson Welles tirera plus tard le portrait dans ‘Citizen Kane’) foncent sur l’occasion. Avec moult détails qui semblent autant tenir de la calomnie que de la légende urbaine, à base d’impuissance liée à l’alcool ou de… bouteilles d’alcool dans le vagin.

En quelques jours à peine, la réputation de Fatty est ruinée. Médiatiquement, le comédien paye pour le tout-Hollywood, bouc-émissaire devenu symbole de la fameuse « dépravation des mœurs » du milieu cinématographique. Pourtant acquitté dès 1922, Fatty ne se retrouvera plus à l’image pendant plus de dix ans, contraint de signer quelques films comme réalisateur sous le pseudonyme de William Goodrich. Pire, l’affaire Arbuckle/Rappe sert de détonateur à Hollywood, qui adopte bientôt le fameux code Hays, entraînant un mouvement de censure – et d’autocensure – terrible au sein de l’industrie cinématographique. Clap de fin pour un âge d’or. Mort à New York en 1933, à l’âge de 46 ans, Roscoe « Fatty » Arbuckle tombe peu à peu dans l’oubli. Seul Buster Keaton, son disciple dans l’humour, essaiera de lui tendre la main. Plus ou moins en vain.

Cent ans après son heure de gloire, ce n’est finalement qu’aujourd’hui que le génie burlesque de Fatty Arbuckle retrouve le chemin des salles obscures, à travers un programme de trois courts métrages intitulé 'Fatty se déchaîne', avec ‘Fatty boucher’ (premier film dans lequel apparaît Buster Keaton en 1917), ‘Fatty à la clinique’ (toujours avec Keaton et Al St. John, autre principal complice d’Arbuckle) et ‘Fatty contre Picratt’ (1919). Trois films à se tordre de rire, délicieusement rythmés et qui permettent de découvrir l’acteur hors du commun que fut Roscoe Arbuckle. Et de se souvenir, aussi, que Buster Keaton reste l’un des plus immenses acteurs du cinéma muet. Voire du cinéma tout court. Mais là, c’est déjà une autre histoire.

>>>> 'Fatty se déchaîne', en salles le 6 avril 2016 (Tamasa Distribution).

Vidéo • 'Fatty cuisinier' ('The Cook') de Roscoe Arbuckle avec Roscoe « Fatty » Arbuckle, Buster Keaton et Al St. John (1918)

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