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Rone
© Timothy Saccenti

Interview • Rone

Rencontre avec le producteur français à l'occasion de la sortie de 'Creatures' chez Infiné le 9 février

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Figure de proue d'une musique électronique rêvasseuse et romantique, Rone a décidé de bousculer le cours de sa discographie. Le voici donc revenu sur Paris, après un long séjour à Berlin, ainsi que sur nos platines, avec son nouveau disque 'Creatures' qui marque l'ouverture du producteur néo-montreuillois aux voix et aux sonorités acoustiques. Une échappée réalisée loin des clubs et faisant suite à l'enivrant dépeuplement de 'Tohu Bohu' ou de 'Spanish Breakfast', où l'on retrouve évidemment son compagnon d'arme Gaspar Claus, mais aussi quelques noms qui n'ont pas manqué de nous surprendre.

Outre Etienne Daho, que Rone a remixé l'an passé, voici Bachar Mar-Khalifé, le trompettiste Toshinori Kondo, Bryce Dessner de The National, François Marry de François & The Atlas Mountain et la Canadienne Sea Oleena invités à prendre part à la naissance de ce 'Creatures' hybride. Nous en avons profité pour aller à la rencontre du génie de Boulogne-Billancourt pour savoir ce qui avait changé dans sa vie et dans sa musique. Erwan Castex nous parle de nuit et de jour, de rêves d'accompagnement par un orchestre philharmonique et d'isolement, d'ici et d'ailleurs. En somme, de tout ce qui a fait son excellent 'Creatures'.

Time Out Paris : Enfin de retour à Paris après un long exil ?

Erwan Castex, aka Rone : Oui, après trois ans à Berlin, je viens de quitter Dreux où j'ai pu prendre de la distance avec la ville et travailler sur mon album. Je suis beaucoup influencé par mon environnement. Il n'y avait vraiment rien à faire là où je me trouvais, j'étais focalisé sur mon son. Quand je finis les phases de production, c'est vraiment ce que je recherche. Etre seul, isolé, ne pas avoir de tentations extérieures. Mais maintenant que l'album est terminé, j'avais besoin d'un peu plus de bruit. Je me suis rapproché de Paris et me suis installé à Montreuil parce que j'ai trouvé un super studio là-bas, et du coup un appartement à côté.

Tu as invité plusieurs artistes comme Bachar Mar-Khalifé ou François Marry sur ton disque. Comment cela s'est passé ?

D'abord Gaspar Claus est venu à Dreux, où je commençais à donner une forme au disque. Et puis il y a eu une seconde étape où je suis allé en studio avec Bachar, à Paris. On a passé trois jours ensemble, sur un terrain neutre. Enfin il y a eu des collaborations à distance, beaucoup d'échanges avec chacun d'entre eux, par téléphone, par mail. Toshinori était à Tokyo, moi à la campagne, alors on s'est échangé des fichiers alors que je ne l'avais jamais rencontré ! Ce type est génial. On s'entend super bien même si on ne s'est jamais vus, qu'on a jamais « tracké » ensemble.

Pour Bryce, on se connaît bien, mais pour cet enregistrement on n'a pas réussi à se choper. Il était de son côté en tournée, je pensais même qu'on n'y arriverait pas. Et lui il s'est démerdé entre deux dates, il a enregistré plein de guitares, il m'a envoyé des pistes... Je lui ai donné mes morceaux et une liberté totale, en lui disant simplement que je voulais qu'il pose des guitares dessus. Et il m'a rendu cette liberté, parce qu'il m'a envoyé trois ou quatre heures d'enregistrements en me disant d'en faire ce que je voulais. Du coup ça a fonctionné comme ça, j'ai passé la nuit à tout écouter ; au début j'ai mis toutes les pistes sur le morceau, puis après il a fallu tailler à la hache. Avec Toshinori Kondo ou Etienne Daho, c'était plus cadré, j'avais une structure en tête et ils se sont callés dessus. Après, même si ça fonctionne vraiment bien à distance, ça m'a fait du bien d'être trois jours en studio avec Bachar. C'est autre chose.

Par rapport à tes précédents albums, comment peux-tu définir 'Creatures' ?

Je pense que l'évolution se fait naturellement. Je grandis, et ma musique grandit avec moi. Souvent je dis que mon premier disque était comme un enfant, chétif et maladroit, le deuxième un ado, et je commence à peine à faire un truc qui ressemble à un jeune homme. Ça suit mon évolution personnelle. Je suis papa depuis un an, ça change des choses dans ma manière de bosser, dans mon son. Naturellement, le disque me ressemble. Il fait preuve de plus d'ouverture également, avec toutes ces collaborations. Il fallait que j'ouvre mon son aux voix, aux sonorités acoustiques, organiques, surtout comparé aux autres albums qui étaient vraiment très électroniques, même s'il y avait déjà des premières expériences avec mon pote Gaspar au violoncelle, ou avec le rappeur High Priest. Là j'avais vraiment envie qu'on sente plus de chair et de sang.

Ton album est très mélodique, ta musique rappelle beaucoup James Holden ou Luke Abbott, du label Border Community. Tu te sens proche d'eux ?

Ouais, j'adore cette bande de Border Community. C'est des mecs que j'aime bien, je les suis beaucoup. Avec James Holden on se croise souvent d'ailleurs. Même les petits jeunes, Luke Abbott, Nathan Fake, ce sont des mecs hyper intéressants. Ils sont vraiment très importants pour moi. Il y a aussi quelques mecs chez Warp qui sont devenus des potes durant ces dernières années. Je les suis pour savoir où ils vont, quelle direction ils prennent. Même Caribou ou Four Tet ! Ce qui est amusant, c'est que la musique électronique ne représente que 5 % de ce que j'écoute. Un peu de tout, mais finalement assez peu de musique électronique.

Comme du Daho ou du Jean-Michel Jarre, que tu as déjà dit admirer ?

Daho ouais, Jean-Michel Jarre... C'est le premier disque que j'ai eu, quand j'avais 12 ans, on m'avait offert ça. C'est plus affectif. Après, je n'en écoute pas tous les jours. Mais un gros respect pour ce mec, que j'ai d'ailleurs rencontré. C'est pas du tout le type que je pensais avoir face à moi. Je l'imaginais mégalo, alors qu'il est très humble, curieux, c'est un vrai gosse ! On dirait un gamin de 20 ans qui te demande : « C'est quoi ta dernière machine ? » Et ça, j'ai adoré. C'est quand même cool de vieillir comme ça.

Ta musique reste toujours très nocturne...


J'ai été longtemps insomniaque. J'ai longtemps eu du mal à dormir. Je tombais de sommeil quand le jour se levait. Un truc chiant à vivre, mais quand j'y pense c'est là que tout a commencé. Plutôt que de regarder la télé toute la nuit, je préférais faire de la musique. Etre insomniaque m'a poussé. Je ne sais pas si j'aurais pu faire de la musique pendant la journée, au départ. Maintenant, j'ai changé, c'est un peu différent. Mais à cette époque c'est la nuit qui m'a inspiré, qui m'a donné envie de faire de la musique. La nuit, c'est un moment fascinant, un moment que j'aime bien.

En parlant de nuit, tu es chez Infiné, un label lyonnais. Va-t-on te voir aux Nuits Sonores ?

Je sais pas où c'en est ces histoires, les dates tombent au fur et à mesure. Il y en a de plus en plus et mon agenda commence à être surchargé. Il semblerait que je joue en Belgique à peu près au moment des Nuits Sonores, aux Nuits Botanique. Toujours une question de nuit donc ! Mais j'adorerais y rejouer, j'ai un attachement pour ce festival.

Bachar Mar-Khalifé et François Marry vous accompagneront sur scène pendant cette tournée ?

J'ai le fantasme de faire un concert, je ne sais ni où, ni quand, avec tous les gens qui ont participé à l'album. Je suis à peu près sûr que j'en ferai un à Paris avant la fin de l'année, mais c'est très compliqué à organiser car Bryce est à Brooklyn, il tourne tout le temps avec The National, Toshinori est au Japon, à Tokyo... Combiner les agendas de tout le monde ne va pas être simple, surtout sur une tournée entière. Et puis j'aime bien jouer seul, alors je préfère que ça reste ponctuel. Eventuellement, sur quelques dates, avoir un de ces artistes. Je sais que je joue en même temps qu'Etienne Daho sur un festival, alors je me dis que c'est l'occasion de faire un truc. De manière presque imprévisible, à chaque fois que ce sera possible. Avec François aussi, on risque de se croiser dans des festivals. Pourquoi ne pas envisager de faire un petit truc, oui, en plus du concert avec tout le monde. « Rone & Friends. »

On imagine bien le morceau "Freaks" dans une version orchestrée, surtout avec la Philharmonie qui vient d'ouvrir. Tu t'imagines faire ça aussi ?

C'est un autre de mes fantasmes ; je suis un vrai vicelard, j'ai plein de fantasmes! Et ça, c'en est un qui va peut-être se concrétiser en partie grâce à Gaspar Claus, le violoncelliste, avec qui on a pour le moment joué que tous les deux, autour d'une bouteille de pinard. Lui vient du conservatoire, mais il est un peu punk... C'est un punk, il faut le voir ! Mais il peut jouer Bach sans faire une fausse note, il a une rigueur sidérante. C'est un personnage fascinant, et il a beaucoup d'amis musiciens. Notamment deux filles avec qui il a monté une formation qui s'appelle Vacarme et avec qui on aimerait faire quelque chose. Ce serait un violoncelle, deux violons et mes machines. C'est un peu tôt, ce sont des idées qu'on balance et qu'on aimerait réaliser. Et après, il y a les idées plus délirantes, comme un orchestre...

Et de bosser sur des films, comme va le faire Jeff Mills à la Philharmonie par exemple ?

Ça peut être une expérience assez drôle le cinémix, mais quitte à travailler sur de l'image, je préfèrerais bosser avec un réalisateur sur la BO de son film. Ça m'attire un peu plus. Y'a des petits projets comme ça, rien de concrétisé encore, mais je commence à recevoir des scénarios. Ça va dans tous les sens, plein de films complètement différents. Je vais essayer ça entre cet album et le prochain. Toutes ces expériences de collaboration m'ont donné envie de sortir de mon studio, où j'ai passé beaucoup de temps tout seul, et de rencontrer des gens. Et puis, comme tout, c'est plus marrant à plusieurs. Même si pour l'instant je n'ai encore personne à te citer. 

Et en musique, tu as des noms de jeunes artistes que tu aimes, que tu as pris sous ton aile ?

Non, je ne dirais pas ça. Mais il y a plein de groupes ou de producteurs qui m'envoient leur démo. Par exemple, Blind Digital Citizen, c'est des fous furieux qui font de la musique un peu électronique, mais ils ont quand même des batteries, ils chantent, ils gueulent. Et puis, ça me parle parce qu'ils font beaucoup d'expériences sonores bizarres. Ils branchent un micro là où il faut pas... Ils avaient fait ma première partie à l'Olympia, c'était la première fois que je pouvais un peu aider quelqu'un. Et là ils m'ont envoyé leur super premier album qu'ils vont sortir sur le label Entreprise. C'est marrant de les voir évoluer comme ça. Je pense à eux, mais il y en a plein d'autres aussi. Vophoniq par exemple, un Lyonnais qui fait de la musique pas mal et qui m'envoie régulièrement ses trucs. D'ailleurs, c'est super bizarre, c'est des moments où je me sens un petit peu impuissant parce que ces mecs sont super bons, et moi malheureusement je pourrais jamais monter un label, j'arrive pas à m'organiser, mais j'aimerais bien les aider ces gars-là.

Tu viens à peine de rentrer sur Paris, as-tu toujours des endroits qui te servent de base ? Des disquaires, des clubs ?

Pas du tout. Je débarque. On me parle de clubs, de tout un tas de trucs que je ne connais pas. Je suis complètement largué. En plus, comme j'ai complètement arrêté de mixer et que j'écoute beaucoup moins de disques... Je passe plus de temps à chercher des textures sonores et à expérimenter en studio qu'à chercher des disques par exemple. C'est comme ça. Maintenant, je fais confiance à mes potes, ils me font découvrir des trucs. Vraiment, je reviens d'un exil. Tout a tellement changé. Mais bon, avant de partir à Berlin, j'habitais à Belleville, j'avais mon petit resto chinois, et ça n'a pas dû beaucoup bouger. Là j'ai mon petit boui-boui en face de chez moi, un rade qui s'appelle La Station Services. Je m'y sens bien, c'est à deux pas de mon studio et les mecs sont adorables. Mais je ne pense pas qu'on vienne de loin pour y boire une verre.

>>> Rone, 'Creatures', sortie le lundi 9 février 2015 sur Infiné.

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