Les chuchotements bourdonnent encore dans la salle confinée de l’Odéon tandis qu’Agénor Montgommier, Ferdinand Martin et son domestique entrent à pas de loup dans la pénombre et s’installent pour une partie de carte. Autour d’une petite table, ils échangent rituellement les cartes et quelques mots, on a déjà l’impression d’être entre amis. Si ‘Le Prix Martin’ s’avère récréatif, c’est à son juste dosage entre caricature et réalisme qu’on le doit. La pièce de Labiche est truffée de petites phrases bien pensées qui se moquent et qui font rire, et de subtiles petites leçons qui rendent les bouffonneries bien tendres. Le mari trompé, la femme adultère et l’amant ami : voilà la recette d’un bon théâtre de boulevard. Mais la pièce est ici moins farcesque que sociale, elle raconte les désenchantements du cœur, le mépris mêlé de désir et la force immuable de l’amitié.
Jacques Weber y interprète un Ferdinand dodu et naïf, mais plein d’humanité. S’il s’amuse avec son personnage dans une gestuelle faussement virile et extravagante, il joue aussi avec une grande justesse la tendresse altruiste, à peine camouflée, de Monsieur Martin pour ses traîtres. Montgommier, le traître, est interprété par un très drôle Laurent Stocker, à la fois lâche, pathétique et pleurnichard. Un duo antinomique pourtant en recherche commune d’amicale tranquillité, l’âge ayant tempéré les ardeurs de la jeunesse. Ardeurs que porte d’ailleurs avec vivacité, sur le corps et l’esprit, Pedro Casablanc qui joue l’hilarant cousin espagnol de Ferdinand, victime de ses origines (« le sauvage »), mais aussi de son complexe de supériorité physique (« le muscle, c’est l’homme ! »).
‘Le Prix Martin’ est une pièce chantante parce que légère et indulgente, drôle et ironique. Elle correspond à ce qu’on attend d’un vaudeville, avec une nouvelle façon d’envisager le ridicule, non comme un vice humain mais comme une conséquence de la pression sociale, de « l’honneur qui l’exige », dira Monsieur Martin.