Philippe Bluzot
© Foliobook - Philippe Bluzot

La banlieue dans l’œil des artistes

Eh non, le Grand Paris, ce n’est pas que de l’art urbain.

Zoé Terouinard
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Lorsqu’on parle de “peinture de paysage”, on pense plus facilement aux champs de lavande provençaux qu’au “93 hardcore”, comme dirait le groupe de rap Tandem. Pourtant, les plus grands artistes de l’histoire n’ont jamais hésité à sauter dans le RER (ou dans un train à vapeur, selon l’époque), direction l’autre côté du périph, pour trouver l’inspiration, mettant en lumière les évolutions urbaines et démographiques des alentours de notre chère capitale. Petit tour en images de plus d’un siècle de représentations de la petite et de la grande couronnes parisiennes.

Pour découvrir notre dossier autour de l'art contemporain en banlieue, c'est par ici.

La banlieue dans l’œil des artistes

Le Pont du chemin de fer à Argenteuil - Claude Monet (entre 1873 et 1874)

Le Pont du chemin de fer à Argenteuil - Claude Monet (entre 1873 et 1874)
Le Pont du chemin de fer à Argenteuil - Claude Monet (entre 1873 et 1874)
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt

Ensemble de six toiles emblématiques de la peinture impressionniste, Le Pont du chemin de fer à Argenteuil de Claude Monet cristallise tout l’amour de cette nouvelle génération de peintres pour les bords de Seine, là où leurs contemporains préféraient les moulins à vent de la campagne. Établie à Argenteuil entre 1871 et 1877, la superstar de l’impressionnisme se passionne pour ce paysage de la vie moderne, où la nature se développe autour de constructions neuves, entre usines fumantes et pont ferroviaire, figure déclinée chez Monet à toute heure de la journée (un peu comme sa célèbre série des Cathédrales de Rouen, réalisée vingt ans après). D’ailleurs, cette thématique du train est définitivement le sujet à la mode dans les années 1870, et sera reprise par ses potes Edouard Manet ou Gustave Caillebotte.

La Fabrique de chaises à Alfortville - Henri Rousseau (1897)

La Fabrique de chaises à Alfortville - Henri Rousseau (1897)
La Fabrique de chaises à Alfortville - Henri Rousseau (1897)
© RMN-Grand Palais (Musée de l'Orangerie) / Franck Raux

Le plus naïf des peintres troque ses habituels paysages sylvestres pour un sujet plus urbain, celui de la fabrique de chaises de la commune d’Alfortville. Surdimensionné par rapport au reste de la scène, le bâtiment a priori lambda devient ici le point de convergence du regard. C’est elle la vraie star du tableau, et le peintre met tout en œuvre pour nous le faire savoir. En jouant avec l’échelle mais aussi avec les contrastes entre lignes droites et courbes, celui que l’on surnomme le Douanier Rousseau ne se contente pas de coucher sur la toile la supposée banalité des paysages de la proche banlieue : il leur permet d’accéder au sublime. Un goût pour ce petit rien, auquel l’élite ne jetterait même pas un coup d'œil, que l’on retrouvera cinquante ans plus tard chez son plus digne héritier, Jean Dubuffet.

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Paysage de banlieue - Maurice de Vlaminck (1905)

Paysage de banlieue - Maurice de Vlaminck (1905)
Paysage de banlieue - Maurice de Vlaminck (1905)
© Maurice de Vlaminck | Paysage de banlieue (1905)

Profondément marqué par le travail de Cézanne, Maurice de Vlaminck abandonne peu à peu sa palette fauviste pour un éventail de couleurs vives, comme en témoigne ce Paysage de banlieue. Si l’on ne sait pas tout à fait où se situe cette scène, on connaît l’appétence de Vlaminck pour la banlieue parisienne, lui qui a déjà représenté Chatou, Le Pecq, Bougival, Carrières-sur-Seine ou Poissy. Si la perspective n’est pas sa principale préoccupation, le peintre réussit pourtant à retranscrire sur la toile la profondeur des paysages de la petite couronne grâce à un savant découpage des plans et un usage parfait des contrastes. Ultra-dynamique, cette œuvre offre le meilleur des deux mondes pour un peintre de paysage : une nature vibrante et des constructions contemporaines.

Tours Mercuriales - Robert Doisneau (1984)

Tours Mercuriales - Robert Doisneau (1984)
Tours Mercuriales - Robert Doisneau (1984)
© Robert Doisneau / Gamma-Rapho / Cliché BnF

Il fallait un peu de photo dans ce top, mais pas facile de sélectionner son représentant… Alors on s’est plongé dans les archives du grand Robert Doisneau pour ressortir ce cliché des tours Mercuriales de Bagnolet, nos Twin Towers à nous. Car si le représentant de la scène humaniste est connu pour ses portraits d’amoureux en noir et blanc (Le Baiser de l'hôtel de ville en tête), il s’est aussi aventuré du côté de la Seine-Saint-Denis armé d’une pellicule couleur. Une composition où l’échangeur et ses deux immenses buildings sont poétisés par la composition florale du premier plan. Un peu à la Vlaminck, Doisneau montre que la nature n’a finalement jamais vraiment disparu au milieu des grands ensembles.

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Banlieue - Philippe Bluzot (2011)

Banlieue - Philippe Bluzot (2011)
Banlieue - Philippe Bluzot (2011)
© Foliobook - Philippe Bluzot

Au début des années 2010, la peinture figurative hyperréaliste a fait son grand retour en galerie avec notamment Philippe Bluzot, digne représentant de cette scène héritière de Vermeer et Chardin, qui peint son quotidien sans fioriture, mettant en scène les hommes et paysages de l’ombre. Également inspiré par Mark Rothko dans ce traitement si particulier de la lumière, Bluzot s’aventure en banlieue pour capturer des scènes dans un style proche de la photographie, débanalisant le moindre rond-point. Dans ses compositions, les Kangoo ont remplacé les charrettes de Courbet et les sentiers se sont parés de béton, mais c’est avec la même émotion que ses aïeuls que Bluzot documente la vie de ceux à qui la peinture ne s’intéresse presque jamais.

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