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Drag-kings : it's good to be the king

Écrit par
Patrick Thévenin
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La nuit queer parisienne ne s’est jamais aussi bien portée. Dans ce tourbillon, les drag-queens (qu’on pensait disparues depuis les grandes années du Queen) sont devenues les reines de la nuit, grâce au succès mondial de l’émission de TV RuPaul’s Drag Race et à la généralisation de la fluidité sexuelle et de la théorie du genre. Et pourtant, depuis deux trois ans, un phénomène, né dans les 90’s aux USA, risque de leur faire de l’ombre : l’avènement des drag-kings, le pendant masculin de la drag-queen. Un king étant une personne (une fille majoritairement) qui personnifie un homme tout en caricaturant les valeurs et attributs associés à la masculinité. Pour évidemment les déconstruire et mieux les appréhender – mais surtout en rire !

Ce samedi soir, à 20h30, on se presse du côté de Châtelet pour assister à la nouvelle édition des Drag My King, organisées depuis 2016 par Jeffrey Scary, star du milieu qui, depuis la fermeture du bar de nuit la Cantada, a transporté ses soirées au Klub. Sur la scène, un bad boy, cigare à la bouche, fait son macho avant de se déhancher en caleçon et débardeur de routier, comme possédé sur Like a Prayer de Madonna. Puis un autre, magicien/cuisinier très porté sur la saucisse, vient hystériser toute la salle. Présentés par Jeffrey, qui officie comme MC accompagné d’une drag-queen, les participants proposent deux numéros, encouragés par un public mélangé entre filles et garçons, straights et homos, qui s’esclaffe et applaudit à tout rompre.  

Depuis quelques années, entre cabaret, travestissement et jeu sur le genre, les soirées drag-kings se multiplient à Paris. Autre exemple ? Jésus la Vidange et Thomas Occhio, figures du mouvement, qui, après avoir enchanté le minuscule bar Les Souffleurs dans le Marais avec les soirées Kings Factory, investissent désormais tous les quinze jours La Mutinerie, le repaire queer de la capitale. Et le dragathon, qui, depuis six ans, a beaucoup fait pour l’essor de la scène drag-queen française, organise une haie d’honneur aux kings pour sa prochaine édition en se rebaptisant Dragkingathon.  

“Le dragathon a toujours été ouvert aux kings”, explique son concepteur Jérémy Pâtinier, “c’est juste qu’il y en a toujours eu moins que les queens. Le dragathon est une compétition de performance de genre, et ce qui compte, c’est le show. Cette année, on a plein de kings ; indéniablement, il se passe un truc. Et comme l’événement a servi de catalyseur pour les queens, je me suis dit que les kings méritaient une plus grande exposition. Ils apportent une réflexion sur le genre, des thèmes et points de vue artistiques différents, et certains d’entre eux jouent des deux genres, ce qui est beaucoup plus rare chez les drag-queens, plus polarisées. Scéniquement, ça donne des shows géniaux qui prouvent que tout est masque, artifice et performance.”

Jeffrey Scary
Organisateur des soirées Drag My King depuis 2016

© Guillaume Blot

J’ai été initié.e au drag-king par une performeuse burlesque, Louise de Ville, qui organisait des ateliers. J’ai rapidement trouvé mon king, mon personnage en quelque sorte, qui s’inspirait d’Alex, le mec ultraviolent du film Orange mécanique – même si plus tard, je me suis dirigé.e vers quelque chose de plus dandy, avec chapeau haut de forme, monocle et redingote. On nous a inculqué de force beaucoup de choses en tant que fille. Ce qui m’intéresse dans la démarche, c’est qu’on passe tout ça au Kärcher, comme les injonctions à sourire, être aimable, croiser les jambes, ne pas parler trop fort… J’ai réalisé qu’à travers le drag-king, on pouvait déconstruire toute cette féminité exacerbée en jouant sur les codes de la masculinité. J’ai fait du burlesque, du théâtre, j’ai été clown et je me suis aperçu qu’il n’y avait pas de scène pour les kings. C’est comme ça qu’en 2016, j’ai créé les premières scènes ouvertes pour kings à la Cantada, un bar de nuit plutôt punk où une troupe de kings s’est organisée. On a appris à coudre nos costumes, le contouring pour élargir la mâchoire, à se faire une barbe en brossant au mascara son duvet naturel, quitte à rivaliser avec Hugh Jackman ! Et avec la fermeture de la Cantada, qui devenait trop petite pour nous, j’ai trouvé un nouveau point de chute. Et ce sera une fois par mois au Klub pour des soirées dont je serai le maître de cérémonie.

Jesus la Vidange
Coorganisateur des Kings Factory à La Mutinerie 

© Guillaume Blot

J’avais déjà assisté à des shows de drag-kings, mais ça ne m’avait pas marqué plus que ça. Par contre, j’ai vraiment eu le déclic quand j’ai vu pour la première fois l’émission RuPaul’s Drag Race et je me suis dit : je veux qu’on arrive à faire la même chose mais avec des kings, en ayant l’envie de pousser le jeu un peu plus loin, show et paillettes inclus, et en incarnant des créatures plutôt que de “singer” un mec lambda. Vu que je viens de la musique, que j’aime la scène, je voulais que ce soit vraiment un spectacle. C’est à ce moment que j’ai rencontré la performeuse Juliette Dragon, qui m’a aidé à façonner mon personnage masculin. Mon personnage, Jésus la Vidange, c’est un homme avec une masculinité vraiment exagérée, c’est mon moi masculin fantasmé. J’étais mécanicienne à l’époque, donc ça me correspondait bien. Ce que j’aime dans le drag, c’est qu’au final, on peut en faire ce qu’on veut, on peut interpréter un autre personnage, personnifier un fantasme, jouer avec le genre. Ces deux dernières années, le mouvement s’est beaucoup popularisé, et on voit de plus en plus de drag-kings sur scène, avec une gamme de personnages grandissante. J’ai vu des shows de débutants qui m’ont laissé sur le cul, franchement. On va continuer et persévérer car il y a un terreau très fertile, avec plein de personnes prêtes à jouer le jeu et surtout beaucoup de volonté.

Thomas Occhio
Coorganisateur des Kings Factory à La Mutinerie

© Guillaume Blot

J’ai découvert le drag il y a quatre ans par le burlesque. Un soir, en commençant un numéro, j’ai eu l’image de moi montant en homme sur scène, et j’ai réalisé que c’était une manière de trouver la femme en moi. C’était aussi le message de mon numéro, une lecture sur comment se débarrasser du patriarcat. Il a fallu que je trouve comment me déguiser en homme, me tenir, m’habiller… Le b.a.-ba du king ! Puis j’ai participé à un atelier de Louise de Ville, la seule à en proposer à l’époque, qui nous a expliqué le maquillage, les astuces pour se bander les seins et avoir la poitrine plate, comment se faire une bite avec un collant et beaucoup de coton. Je me suis rendu compte que beaucoup de gens étaient intéressés par le drag, mais en faisaient dans leur coin. Il n’y avait pas de scène régulière, à part la Drag My King. C’est comme ça que les soirées Kings Factory sont nées, avec l’idée de proposer un espace safe où kings confirmés et débutants peuvent se rencontrer. Chacun met ce qu’il veut dans le drag-king, ça peut être des numéros engagés, drôles ou tristes. Quand j’ai créé mon personnage, le côté fluide et androgyne de certains garçons m’a tout de suite parlé, j’ai porté les cheveux courts très tôt, et déconstruire tout ça m’a permis de mûrir. Ça permet de s’assumer et de changer le regard qu’on porte sur la société et les codes qu’on nous inculque en tant que femme.

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