Actualités

Les petits plats dans l'écran : une scénographe culinaire nous raconte les secrets de la nourriture au ciné

Rencontre avec Caroline Le Touzé, de l’agence Wallace qui crée les plats les plus réalistes possibles à l’écran.

Écrit par
Sophie Hienard
Journallste
Les plats de cinéma
© Netflix
Publicité

A l’entrée, les néons se reflètent sur les longues tables en inox. Une foule d’ustensiles sont accrochés aux murs, des robots et des plaques à induction sont disposés sur le plan de travail. À première vue, rien ne différencie le laboratoire de Caroline Le Touzé d’une cuisine professionnelle. Pourtant, ici, ce qu’on cuisine n’est pas destiné à être mangé. Depuis cinq ans, cette ancienne pâtissière de 39 ans, formée au Ritz et à la Maison Lenôtre, « magnifie des mets pour soutenir la narration » des œuvres de fiction.

« J’ai toujours adoré le cinéma, et surtout, j’étais fascinée par l’envers du décor, là où tout fourmille, confie-t-elle. Jamais je ne me suis dit que je pouvais en faire partie. » L’aventure démarre lorsqu’un client de sa biscuiterie l’invite sur un tournage. Elle commence alors comme conseillère française auprès de la food stylist de la série Julia sur HBO Max, qui retrace la vie de Julia Child, star de l’émission télévisée The French Chef dans les années 1960. Devant la caméra s’entrechoquent une mousse au chocolat, un homard en sauce, des ravioles à la truffe…

Tofu et eau de pois chiche

Si tous les plats sont comestibles – « au cas où les acteurs les mangent » –, le travail tourne surtout autour des textures et des couleurs pour les rendre visuellement attrayants à la caméra. Le produit fini doit aussi résister aux conditions de tournage, qu’il s’agisse de la météo, des spots lumineux à haute température, ou simplement des heures passées sur une même scène. « Pour le mont-blanc d’Emily in Paris, les blancs d’œuf de la meringue et la crème ont été remplacés par de l’eau de pois chiche et du tofu soyeux, indique Caroline Le Touzé. Le goût n’est pas le même, mais à l’écran, on n’y voit que du feu. »

Tournage Emily In Paris
© Agence Wallace

Si la pâtisserie était imposée dans le script d’Emily in Paris, les propositions peuvent être plus ouvertes. Pour un épisode de The Crown, la scénographe culinaire avait pour seule consigne de réaliser une entrée et un dessert servis dans un restaurant gastronomique français des années 1990. « Il a fallu faire des recherches sur la manière dont les plats étaient cuisinés et dressés à cette époque. Avec Ange Macias, directrice artistique de l’agence, nous avons parcouru les livres de cuisine, les magazines et les articles de journaux de ces années-là, avant d’envoyer nos croquis au directeur artistique, explique-t-elle. C’est fascinant de voir à quel point la gastronomie d’alors est différente de celle d’aujourd’hui. »

Cuisiner plus pour manger moins

Après validation, tous les éléments sont préparés en laboratoire avant d’être stockés dans un camion à proximité des plateaux. Les scénographes culinaires n’ont alors qu’une trentaine de minutes pour installer et finaliser toutes les assiettes sur le set. « Pour The Killer de David Fincher, il a fallu préparer plus de 200 pâtisseries pour une seule scène, et c’est seulement un détail du décor en arrière-plan, décrit-elle. C'est aussi ça notre métier : nos réalisations peuvent être en close-up comme en background. Dans les deux cas, il faut tout donner. »

Agence Wallace cinéma
© Agence WallacePatisseries de The Killer

Le travail n’est pas de tout repos. Pour certaines productions, Caroline Le Touzé confie travailler « de 7h à 23h » et doit s’adapter aux demandes changeantes des réalisateurs. « Nous avons toujours une caisse à outils culinaires, avec des salades, du pain et d’autres ingrédients, au cas où », confie-t-elle. Mais parfois, ça ne suffit pas. « Pour une scène d'Étoile (série réalisée par Amy Sherman-Palladino et Dan Palladino, avec Charlotte Gainsbourg, ndlr), les 200 asperges ne devaient pas être mangées par les figurants… Mais à la dernière minute, les réalisateurs en ont décidé autrement, raconte-t-elle. Il a fallu qu’on découpe toutes les asperges en deux. C’était le seul moyen d’en avoir une quantité suffisante pour les quatre prises de vues. »

Si la scénographie culinaire est très courante aux Etats-Unis, ils ne sont qu’une poignée à exercer ce métier en France. Les directeurs artistiques privilégient plutôt des grands noms de la gastronomie pour les conseiller – comme Pierre Gagnaire pour La Passion de Dodin Bouffant – mais ces derniers n’ont « malheureusement pas les codes du cinéma », d’après Caroline Le Touzé. « C’est encore timide mais l’intérêt pour ce métier grandit. Il faudrait que la scénographie culinaire devienne la norme dans les productions françaises, martèle-t-elle. Ce serait une manière de magnifier notre gastronomie française et de la faire revenir au cœur des écrans. »

À la une
    Publicité