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On a interviewé le rappeur marseillais Steban, l’ancien venu enfin réclamer son dû

Steban ? Une figure de l’ombre à la lente maturation artistique et un fil d’Ariane entre différentes époques, scènes et villes.

Rémi Morvan
Écrit par
Rémi Morvan
Journaliste, Time Out Paris
On a interviewé le rappeur marseillais Steban, l’ancien venu enfin réclamer son dû
© DR
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Dans la grande chaîne du rap français, Steban est un maillon unique. Une figure de l’ombre à la lente maturation artistique et un fil d’Ariane entre différentes époques, scènes et villes. Apparu sur la planète Mars en 2008 avec son groupe Lygne 26, Steban a connu plusieurs générations du rap local : proche d’Alonzo depuis toujours, il est ensuite crédité sur les compilations Classico Organisé et Bande Organisée 2 patronnées par Jul. Et pourtant, malgré ces bonnes fréquentations, ce n’est qu’au début de la décennie 2020 qu’on entend sérieusement causer de Steban avec ses disques Base 015 et surtout Mode Sport, porté par des morceaux avec Alonzo (la loyauté toujours) et la perle de la new gen Zamdane. 

On a interviewé le rappeur marseillais Steban, l’ancien venu enfin réclamer son dû
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Son dossard bien identifié, Steban continue de bûcher son karaté et ses connexions jusqu’à cette récente nouvelle étape dans sa (re)conquête : la sortie de Mode Sport 2 le mois dernier sur SPKTAQLR, le label parisien très famille tenu par Oumar Samaké. Sur cette mixtape au générique copieux (La Fève, Zamdane encore, Kay The Prodigy, Ashe 22, Dinos, Dosseh, fidèles lieutenants du label, Kosei, Lyele pour les instrus), Steban est toujours aussi agile sur ses flows, fin et référencé dans ses textes et curieux dans ses choix de prods. Celles-ci dessinent une trame globalement sombre judicieusement éthérée. 

Il se dégage surtout de cette mixtape une confiance renforcée en son art et une prise de recul sur sa vie, Steban évoquant en filigrane, presque sans haine, les trahisons subies. L’apanage des gens enfin apaisés d’être sur le bon chemin. Autant dire qu’on avait pas mal de choses à causer avec le Marseillais.

Tu as toujours affectionné les premiers morceaux introspectifs. Si, sur le volume 1 de Mode Sport, on sentait l’envie de tout casser, avec « Purosangue » sur le 2, tu dis avoir peur pour ta famille et parle de « paix » et « d’avoir des combats communs ». Comment expliques-tu cette évolution de perspective ? 

Je suis content que tu aies capté l’évolution ! En 2021, Mode Sport était mon premier vrai long format, j’avais un esprit revanchard, l’envie de tout casser, un peu comme si j’étais dos au mur. Mode Sport 2 est la suite du film, où, après avoir pris des risques, je prends du recul pour mesurer l’impact que ça a pu avoir. Ces intros permettent de fixer les différentes visions que j’avais des projets. 

Comment expliques-tu les quatre ans entre les deux volumes ? Et pourquoi avoir encore choisi ce format mixtape ?

Ce second volume coïncide avec ma signature sur le label SPKTAQLR, avec encore et toujours l’idée de revenir au charbon. Ça m’a paru logique de convoquer l’état d’esprit compétiteur Mode Sport. Le format mixtape permet de sortir des morceaux faits plus à l’instinct, tout en s’améliorant. Je trouve par exemple que les textes et les ambiances sont plus abouties, plus matures.

Comment cette arrivée chez SPKTAQLR s’est-elle faite ? 

Avec Oumar, on se connaît depuis une dizaine d’années. Il nous avait signés avec mon groupe Lygne 26, mais le groupe s’était séparé et le projet n’a jamais pu sortir. On a gardé contact et à la fin de mon précédent contrat, je lui ai demandé des conseils et ça s’est fait naturellement. 

Toute l’équipe SPKTAQLR est mobilisée dans le projet : Oumar, Dinos et Dosseh. Ce dernier semble te coopter dans votre feat tout en parlant de « SPKTAQLR discipline » : c’est quoi cette discipline ?

SPKTAQLR est un label de passionnés de musique, qui aiment le rap et en respectent les codes et l’histoire. Et ce sont des compétiteurs ! 

Il y a quelque chose qui habite le projet et sa réalisation d’assez paradoxal : c’est la cohabitation entre ton ultra-fidélité artistique et la notion de trahison/mélancolie qui plane. 

C’est à la fois paradoxal et complémentaire dans le sens où je suis quelqu’un qui accorde énormément d’importance à la loyauté. Forcément, tu peux être amené à être trahi et blessé d’une plus forte manière que ceux qui attachent une moindre importance à cette valeur-là. 

Au sujet de la fidélité, deux rappeurs aux univers très éclectiques sont sur les deux volumes et ont explosé entre les deux : La Fève et Zamdane. Peux-tu m’en parler ? 

Je suis fier de voir des proches arriver à de tels niveaux. Clairement, leur différence artistique était visible dès le départ. Leur évolution est logique. Et de mon point de vue, au-delà de me retrouver dans leurs deux univers, je dirais que je suis un peu entre les deux.

Cet éclectisme se retrouve dans tes choix de prods, entre une trame sombre et quelques échappées plus lumineuses. Comment as-tu construit cette ambiance ? 

J'essaye d’avoir une homogénéité entre les prods tout en étant assez polyvalent, autant dans ce que je vais aimer que composer. Je sais que j’ai encore une marge de progression dans l’osmose entre tous les sons. Même si je m’impose toujours des standards élevés dès que je fais de la musique, ça reste une mixtape où je sais que je peux mieux faire. 

Y a-t-il des choses qui te font envie ? 

Le côté cinématographique de mes intros et de mes interludes est quelque chose que j’ai envie de développer sur tout un projet. 

Il y a cette prod de Brodinski sur le son avec Ashe 22, « D$FLZ », que je trouve assez fascinante. Peux-tu m’en parler ?

Lorsque tu travailles avec Brodinski, tu sais que, de par son pedigree musique électronique, tu vas aller vers quelque chose de différent, de plus expérimental. Au moment où j’écoute cette prod hyper minimaliste, j’ai l’impression d’entendre une mise à jour de l’instru de « Paris-Dakar », mon son avec Alonzo. Et ce qu’il faut aussi savoir, c’est que, en tant que gros consommateur de toutes les musiques et ayant fait beaucoup de soirées électroniques dans ma vie, ce son était comme un clin d’œil à ce côté de ma personnalité.

Au-delà des prods, il y a beaucoup de phases assez fortes. Il y en a une qui m’a vraiment marqué, c’est dans le morceau « San Siro » :  « Tu me demandes d’où vient ce flow ? J’aurais pu boire la tasse en venant à la nage. » 

Je compare le fait d’avoir du flow et d’être un immigré africain qui aurait pu arriver à la nage. C’est une image un peu difficile mais c’est pour dire que j’ai le flow d’un survivant. Tu sais, c’est un vrai exercice d’expliquer ses phases tant j’écris d’instinct, sans forcément y penser. Parfois, je me demande si les gens vont capter la subtilité dans la simplicité. 

Tu t’es fait connaître avec le groupe Lygne 26 il y a plus de 15 ans, et ce 2e volume se fait dans le giron du label très familial SPKTAQLR : quel est ton rapport au collectif ?

C’est assez simple : pour moi, le hip-hop est un mouvement, avec des notions d’appartenance et de partage qui sont très importantes. On est plus forts ensemble et je sais que j’adore partager des morceaux et c’est pour ça qu’il y a de nombreux feats sur le projet. Je trouve ça très intéressant d’avoir d’autres visions et manières de s’exprimer sur une prod commune. 

Et malgré ces 20 ans de carrière, tu es parfois vu comme un rookie qui traîne avec les producteurs de la new wave, et tu fais aussi le pont entre Marseille et Paris. De ton point de vue, quelle place occupes-tu dans l’écosystème du rap français ? 

Pas la place que je mérite en tout cas ! Pour cette appellation de rookie, c’est une histoire de contexte sachant que j’ai émergé avec des projets plus consistants avec la génération de Zamdane et La Fève. Mais au final, c’est aussi l’histoire de tous les rappeurs, qui ont toujours minimum dix ans de rap dans les pattes avant d’être connus. Mais peu importent les étiquettes, je connais mon ambition et mes objectifs et je vais essayer de les atteindre. 

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