La galerie Madé accueille une exposition hors norme, résultat du travail de Christian Kettiger. Accoutumé à la beauté glacée des magazines féminins (Marie-Claire, Elle, etc.) et au langage lisse des publicités, le photographe suisse a délaissé son univers glamour le temps de deux voyages à Gibsonton, Floride, ville célèbre pour avoir été la terre d’asile des « freaks ».
L’histoire raconte qu’un géant a posé là ses valises durant les années 1940, avant que circassiens et autres monstres de foire ne l’y rejoignent. Si les stars de cette grande époque (la famille crabe, les sœurs siamoises...) ont aujourd’hui disparu pour la plupart, Gibtown, comme on la surnomme, continue d’attirer les équipes de tournage (elle a notamment servi de décor à un épisode de ‘X-Files’) et reste peuplée de personnages atypiques, marginaux, que l’œil aiguisé du portraitiste a su révéler. Ses modèles ont été choisis au gré des rencontres : des avaleurs de sabres, un nain de 75 ans, un obèse sur son fauteuil roulant king-size, une pauvre âme qui vend ses services sexuels... Imbibée de l'intensité de leur regard, cette série en noir et blanc souligne le charisme de ces écorchés vifs et l’empathie, ostensible, du photographe. Chaque cliché s’accompagne d’une légende sous forme d’anecdotes, de souvenirs, ou de courtes biographies : autant de récits qui viennent renforcer l’impression pénétrante que produisent les œuvres. On contemple avec fascination la manière dont Kettiger, souvent qualifié de « fils spirituel » de Guy Bourdin pour son travail dans la mode, pose sur ces êtres socialement déphasés le même regard qu’il a prêté par le passé à Juliette Binoche, Laetitia Casta ou Isabelle Huppert.