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Dans les prisons de Lyon

  • Art, Dessin
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Time Out dit

4 sur 5 étoiles

Certains murs n’ont pas d’oreilles, mais des souvenirs éclatés. Sourds. Comme les prisons Saint-Paul et Saint-Joseph à Lyon, qui, depuis leur construction au XIXe siècle, ont vu défiler la guillotine, la police de Pétain, Klaus Barbie, les matraques, les matons, les rituels, les petits trafics de vivres, de tabac et de drogue. N’ont connu que la misère de l’enfermement. Désaffectés depuis 2009, ces deux centres pénitenciers seront réhabilités et remplacés par des bureaux, des logements sociaux et un campus universitaire en 2015. Entre-temps : le vide et le silence. Juste des images, d’une violence contenue mais terrible, accrochées au crépit qui s’enfuit des murs. L’artiste Ernest Pignon-Ernest, qui colle des dessins à connotation politique et sociale dans l’espace public depuis les années 1970 (notamment, en 1971, des gisants à échelle humaine devant le Sacré Cœur et le métro Charonne en hommage aux victimes de la Commune), s’est chargé de faire remonter à la surface les histoires refoulées de ces deux établissements. Comme des parasites qui resurgiraient après une tempête, quand tout le monde est parti.

Ce n’est pas la première fois que le peintre niçois travaille dans les prisons lyonnaises : pendant les années 1990, il y avait animé des ateliers d’arts plastiques avec les détenus. Alors, quand les gardiens ont mis les clés sous la porte, on a pensé à lui. Ernest Pignon-Ernest a été invité à faire parler les murs à l’abandon. Comme un accoucheur de mémoire, il est parti chercher des photos de prisonniers exécutés pendant la guerre, s’est renseigné sur les conditions de vie derrière les barreaux, les méthodes de torture, d’intimidation, de discipline. Puis il a recouvert les murs de portraits glaçants, solennels, dotés parfois d’une portée quasiment biblique. Car ici, c’est la dimension morale, universelle, presque allégorique de la séquestration qui s’affiche dans toute sa férocité : Ernest Pignon-Ernest n’émet pas de jugement. Il expose simplement l’acte cru de l’emprisonnement. Ses œuvres interviennent furtivement, ici ou là, pour faire ressortir les quelques débris d’humanité disséminés parmi les ruines. A la galerie Fait & Cause, consacrée à des expressions documentaires souvent militantes, ses photos (des prisons et du travail qu’il y a fait) sont accompagnées de prises de vue réalisées par Bruno Paccard – autre artiste niçois qui, lui aussi, a reçu la permission de tirer le portrait de Saint-Joseph et Saint-Paul après leur fermeture.

Les deux photographes nous emmènent le long des couloirs, de la cour, des façades, que quelques (chanceux) visiteurs ont pu sillonner lors des Journées du Patrimoine 2012. A présent, il faut se contenter de cette restitution par l’image – qui parvient, tout de même, à véhiculer l’oppressante présence du lieu. On y croise des bourreaux, des hommes nus, des scènes bestiales, une guillotine, figés dans les traits noirs de Pignon-Ernest. On assiste à des événements passés sous silence, qui n’ont eu droit, jusqu’ici, ni à une photographie, ni à un témoignage écrit. Et puis, sous les fenêtres, d’étranges amas de canettes, de boîtes, de bouts de tissu s’agrippent aux barbelés : Paccard a photographié les vestiges des « yoyos », un système de cordage que les prisonniers utilisaient pour échanger des clopes, de la nourriture ou des messages depuis leur cellule, et qui se perdaient parfois en chemin. Encrassés, déchirés, écorchés, ils sont restés là, comme des étendards d’espoir pris dans des toiles d’araignées. Marqués par la même beauté – improbable et angoissante – que les lieux déchiquetés qui les entourent.

> Horaires : du mardi au samedi de 13h30 à 18h30.

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Entrée libre
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