Plus qu’une volonté de réunir des graphistes aux univers semblables, « Picto-» (de « pictogramme », personnage dépourvu de raison d’être narrative) « -plasma » (qui signifie « image vivante », mais aussi « créature »), initiative née à Berlin il y a plus de dix ans, est la sève d’un mouvement d’art surprenant. Leur tentative sérieuse de théoriser, regrouper et archiver ce courant éphémère, soumis aux lois du monde virtuel, a conduit les deux Allemands à offrir des plateformes d’expression à ces personnages étranges, les poussant à s’émanciper du pixel pour aller conquérir la peinture, la sculpture, la vidéo, la performance… Résultat : matière palpable infiltrée dans le monde du concret, le monstre « post-digital » se met à s’étaler sur des toiles, à se tailler dans le bois. S’affranchissant de sa nature anti-narrative, purement esthétique ou commerciale, il s’amuse à se mouvoir en statue tribale, à faire des gamins, à s’imaginer une genèse, des mythes… Bref, à entrer dans l’histoire (de l’art).
Désarmantes, ces boules de poils blancs qui s’approchent, lentement, pour tenter de vous enlacer (‘The Missing Link’) ; hypnotiques, ces costumes sonores en mouvement, comme en transe, filmés par Nick Cave (pas le chanteur, l’artiste) ; écrasantes, ces vagues de cyclopes rouges et noirs signées Motomichi Nakamura, venues inonder les murs de la Petite Salle… Insurgés, libérés, les monstres post-numériques semblent vouloir tirer un peu d’humanité et de substance de notre monde virtuel. Ils nous suggèrent que nous n’en sommes pas prisonniers, que l’on peut inverser le mouvement, faire marche arrière, créer des textures à partir du vide, de l’art à partir de pratiques dérivées du marketing, de l’affectif à partir de codes numériques. Plus qu’une simple exposition, le festival Pictoplasma ouvre des fenêtres de réflexion : sur les mouvements qui s’épanouissent dans les marges d’un marché de l’art à bout de souffle. Et sur notre époque pixellisée, en mal d’antidotes contre la fibre optique.