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Kehinde Wiley, 'The World Stage : France 1880-1960'

  • Art, Peinture
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Time Out dit

D’abord, bien huiler la toile, et prendre comme base le contexte historique de la France coloniale : cette bonne vieille Françafrique et son lot de conquêtes impérialistes, d’exploitation, de guerres et d’esthétique officielle venue écraser la culture locale. Ajouter ensuite le lourd héritage artistique de l’Europe, dont Kehinde Wiley s’inspire avec ironie dans ses toiles, en copiant des poses héroïques signées David, Ingres ou Raphaël. Puis insérer l’ingrédient principal : ces hommes – des modèles ultra-esthétisés vêtus à l’occidentale – que le peintre afro-américain est allé trouver dans les rues du Maroc, du Congo, du Gabon ou de Tunisie lors de castings sauvages. Enfin, glisser derrière tout ça un fond graphique, inspiré de textiles à motifs typiques de la région dont provient chaque personnage. Attention, le résultat n’est garanti que si l’on sort des Beaux-Arts de Yale, et que l’on conjugue l’ensemble à une sauce hyperréaliste et décorative. Vu comme ça, le cocktail que Wiley nous sert à la galerie Daniel Templon ressemble presque à une sorte de mélange de vin rouge, de cognac et de thé à la menthe. Rehaussé de colorants fluos.

Et le pire c’est que ça n’est pas complètement raté. Méticuleux et obstiné, le techniquement virtuose Kehinde Wiley s’acharne depuis des années à détourner ainsi des représentations classiques de Napoléon, de colons britanniques, de personnages bibliques ou de figures mythologiques, en y insérant des portraits de jeunes hommes d’Afrique et de sa diaspora, qu’il photographie avant de les peindre. Le style, qui a fait de lui une star de l’art contemporain aux Etats-Unis, est ultra-kitsch, mécanique, rigide, baroque et prévisible. L’ambiance, on ne peut plus phallo-centrée. Les contraintes, elles, laissent peu de place à l’imagination. Alors certes, la démarche se veut réfléchie et fouillée : dans une époque mondialisée où les cultures se confondent au risque de disparaître, Wiley cherche à interroger les identités ethniques en bousculant les récits historiques imposés. Il semble vouloir capturer quelque chose d’impalpable, qui colle à la peau de ses personnages comme ces batiks qu’il érige au fond de ses toiles ; semble vouloir dynamiter le passé tout en célébrant la manière dont chacun garde en lui une part de son héritage culturel, aussi hybride et polarisé soit-il. Mais le résultat s’avère gentillet, redondant, à la limite de la platitude. Situées quelque part entre la fascination de l’artiste pour ces beaux corps d’éphèbes, et sa volonté de déboulonner le pouvoir et l’art hégémoniques, les tableaux de Wiley ont tout au mieux le mérite de crystalliser une époque métissée, où l’individu et la marginalité défient parfois crânement les discours dominants.

Chez Daniel Templon, un documentaire éclaire d’ailleurs le procédé créatif de l’artiste en suivant Wiley dans ses pérégrinations au Maghreb et en Afrique noire. Ces pays marqués jusqu’au sang du sceau de la France, l’Américain en a étudié l'histoire puis en a écumé les marchés, les centre-ville, les stades de foot et les villages pour partir à la rencontre de ses modèles. Il connaît son sujet. Veut le comprendre, le restituer, lui rendre hommage. Il ne cuisine pas à l’aveuglette. Mais ses concoctions sculpturales peinent à refléter ses recherches et ses efforts de terrain. L’art de Kehinde Wiley est un cocktail qui se boit froid, avec parcimonie. Comme ça, par curiosité, sans jamais vraiment nous griser.

> Horaires : du mardi au samedi de 10h à 19h

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Entrée libre
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