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Silent Faces

  • Art, Peinture
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Time Out dit

4 sur 5 étoiles

Un arbre généalogique bien enraciné dans la Bretagne conservatrice du siècle dernier – avec un pied dans l’église, et l’autre dans l’extrême droite. Lorsqu’il découvre une boîte de négatifs chez sa tante décédée, les secrets de famille d’Erwan Venn font surface : sous couvert de chef de bonne famille rurale, papi était collabo et vendait, semble-t-il, du vin aux Allemands. Un lourd bagage que l’artiste tente de se réapproprier, de remodeler, en le faisant basculer vers la fiction. Comme si tout cela n’avait jamais existé, Venn développe les photos de ses aïeux et les bidouille sur Photoshop, s’échinant à faire disparaître les visages des uns et des autres. De ces montages où ne subsistent que des robes d’enfant de chœur sans enfant de chœur dedans, des habits de prêtres sans tête de prêtre dessus, des maillots de bain sans baigneur à l’intérieur, émane une nouvelle histoire, sur laquelle flotte une certaine poésie de l’absence. Sortes de souvenirs passés à la gomme, ses portraits fantomatiques viennent réaffirmer l’autorité d’Erwan Venn sur un passé dont il a hérité comme on hérite d’une allergie aux pistaches – sans qu’on lui ait demandé son avis.

Parmi les cinq artistes rassemblés dans la toute petite (comme son nom l’indique) galerie 22,48m2, tous partagent ce besoin de retravailler la mémoire. A partir d’archives, la jeune et brillante peintre Giulia Andreani réinterprète des photos de femmes résistantes avec sa palette grise et bleutée, tandis que Leopoldo Mazzoleni se concentre sur les mains de soldats en uniformes, les délivrant d’une photo de groupe officielle pour souligner l’individualité de chaque morphologie, de chaque geste. Désormais isolés, les éléments du corps (contournés au stylo Bic avec un soin maniaque) respirent et prennent une autre ampleur, pointant vers les possibilités infinies de l’image, des décennies après le moment de la prise de vue.

Dans la même veine, Sandra Lorenzi est allée fouiller les brocantes à la recherche de correspondances de soldats de 1914-18, condamnés à écrire à leurs familles sur des cartes postales illustrant différents aspects du conflit. Minutieusement, l’artiste élague tout ça aux ciseaux pour ôter toutes les références à la guerre (une inscription sur un monument aux morts, un général à cheval, une phrase sur les « Boches »…). Un procédé de censure qui, explique-t-elle, « ouvre sur une autre dimension : du souvenir, mais aussi et surtout de ce qu’il y a à venir, ce qui reste, ce qu’il y a à reconstruire ». Ici, les paroles et les images s’envolent, pour laisser place à d’autres récits – un peu comme chez Morgane Denzler, qui reproduit sous forme de puzzles des photos d’anonymes chinées sur les marchés de Beyrouth. Autant de portraits des classes aisées des années 1960 et 70 qu’elle a demandé à des Libanais atteints de la maladie d’Alzheimer de commenter, dans une tentative de rassembler les pièces de la mémoire collective d’un peuple perforé de trous de mémoire, et dont l’histoire officielle reste encore à écrire. L’ensemble, réuni par Julie Crenn (commissaire de cette petite exposition), fonctionne à merveille : chaque démarche, intelligente, sensible, enrichit et répond à celle des autres. Un aller-retour troublant vers le passé, au son du silence des absents.


> Horaires : du mercredi au samedi de 14h à 19h / Vernissage le 10 janvier à partir de 18h.

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Entrée libre
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