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Interview • Ibrahim Maalouf

Rencontre avec le trompettiste Ibrahim Maalouf, à l’occasion du Festival International du Jazz au Cinéma

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C'est dans un studio d'enregistrement de Montreuil qu'on retrouve Ibrahim Maalouf. Barbe de trois jours, jogging complet Adidas - à la cool -, le trompettiste termine tout juste une journée de répétition avec sa protégée, la chanteuse Isabel Sörling. Parrain de la première édition du Festival International du Jazz au Cinéma - aux côtés de Quincy Jones et de Bertrand Tavernier -, Ibrahim a été chargé de sélectionner quatre films qui seront diffusés le week-end du 13 avril 2013 dans des salles parisiennes. Parmi eux, l'incontournable 'Ascenseur pour l'échafaud' de Louis Malle (1958), dont la musique a été écrite par Miles Davis. Pour le reste, c'est l'étonnement : 'Home' (2009) de Yann Arthus-Bertrand (musique d'Armand Amar), 'Le Bon, la Brute et le Truand' (1966), the western spaghetti dont la BO est signée Ennio Morricone, et 'West Side Story', adaptation de la comédie musicale du génialissime Leonard Bernstein, capté par la caméra de Robert Wise. Un choix à l'image de la personnalité du compositeur franco-libanais qui livre depuis six ans un jazz crossover aux inflexions orientales. Eclectique, Ibrahim éclate les frontières et s'inspire de toutes les musiques.

Time Out Paris : Yann Arthus-Bertrand et Leonard Bernstein pour parler de jazz au cinéma : votre choix semble un peu décalé, non ?

Ibrahim Maalouf : La BO de 'West Side Story', c'est complètement du jazz joué par un orchestre classique ! Je ne voulais pas choisir des musiques où le jazz apparaissait de manière évidente. Après, on peut s'amuser à jauger les pourcentages : 'Ascenseur pour l'échafaud', c'est 100 % jazz ; Bernstein avec 'West Side Story', c'est plutôt 70 %. Chez Ennio Morricone, il y a peut-être 20 % de jazz, et chez Armand Amar... 5 % ? Je sais que cette sélection de films est bizarre, mais c'est ma manière de voir les choses. C'était un choix hyper spontané. J'ai aussi voulu stimuler le débat, que les gens se disent : « Ah bon, c'est du jazz, ça ? » Je n'ai pas essayé de paraître virtuose dans mes choix : s'ils sont populaires et qu'ils parlent à tout le monde, tant mieux.

La légende veut que Miles Davis ait composé la musique d''Ascenseur pour l'échafaud' en direct, lorsque Louis Malle lui passait les images du film...

Quand tu écoutes la musique de Miles, tu t'aperçois que rien n'est écrit. Il y a deux ou trois accords qui se suivent et c'est toujours la même chose, en plus rapide ou plus lent. Il a dû griffonner ces quelques accords sur un bout de papier et dire aux musiciens à la dernière minute : « Jouez ça ! » Un vrai génie. J'ai longtemps considéré que cet album était l'une des plus belles musiques au monde.

'Ascenseur pour l'échafaud' est considéré comme un film noir. Est-ce le genre cinématographique qui colle le mieux au jazz selon vous ?

Le jazz peut se marier à tous les genres, mais pour une raison que je peux comprendre, la musique classique est préférée des producteurs et des réalisateurs, car elle va aller chercher des émotions plus profondes, plus romantiques, du grandiloquent. Le jazz a un côté un peu plus fin, plus fragile, qui inquiète un peu les réalisateurs.

La critique cinématographique a tendance à sous-traiter la musique de film. Lorsque vous allez au cinéma, y portez-vous beaucoup d'attention ?

Pas toujours, sauf quand elle est excellente. Dans un film, la musique est essentielle, mais il ne faut pas non plus lui attribuer une place démesurée. Quand je vois la quantité de musique qu'ils mettent sur les films hollywoodiens, je trouve ça dingue. C'est comme si l'on voulait te forcer dans certaines émotions, et ça devient trop. Il faut trouver un juste équilibre.

Avez-vous un compositeur de musique de film favori ?

Je vais vous décevoir, mais non. J'ai bossé avec Alexandre Desplat, Tony Gatlif, Armand Amar, plein de personnes géniales, mais je n'ai pas d'icône ou d'influence particulière, en dehors de mon père [lui-même trompettiste, et inventeur de la trompette à quart de ton qu'utilise Ibrahim, ndlr]. Je ne suis pas un geek, un fouineur, je n'ai pas une culture musicale très développée et spécialisée : je baigne à 200 % dans ma musique. Freud m'aurait détesté, il n'aimait pas les artistes et les musiciens car il les trouvait trop centrés sur eux-mêmes. Je ne fais pas partie des musiciens qui s'intéressent vraiment aux autres : je bosse sur ma musique toute la journée et j'écoute très peu de choses.

Vous êtes actuellement en train de composer la bande originale du prochain film de Kim Chapiron...

Ca y est, c'est terminé. C'était ma première expérience de long métrage. Mon dernier album, 'Wind', a été composé sur un vieux film de René Clair de 1927, 'La Proie du vent'. C'était une commande de la Cinémathèque. Mais avec Kim, c'était ma première véritable collaboration. Il n'y a pas énormément de score [de musique spécialement composée pour le film, ndlr], mais il y a beaucoup de synchro [des musiques préexistantes, ndlr]. Il fallait respecter les contraintes que t'impose l'équipe du film tout en essayant de rester libre. J'ai découvert que l'entourage d'un réalisateur a autant de pouvoir que le réalisateur lui-même... C'était une surprise.

Et le résultat sonne comment ?

Il n'y a pas de trompette. Je me considère plus comme un compositeur qu'un instrumentiste : sur mes albums, la trompette n'est pas omniprésente, elle est utilisée avec parcimonie.

A quoi ressemblait le processus de composition ?

Le même que d'habitude : j'ai des idées qui me trottent dans la tête, les oublie puis m'en rappelle. Celles qui restent et ne veulent plus partir, je les enregistre ou je les écris sur du papier à musique. Après, je les laisse mûrir pendant super longtemps. Ca peut durer plusieurs mois, plusieurs années même, puis je reviens dessus, surtout quand quelqu'un me dit « tiens j'aimerais que tu me composes quelque chose pour un film » ! C'est toujours un long processus, très progressif. Chacun de mes albums, à part 'Wind', m'a pris quatre ans. La contrainte du temps dans le cinéma était donc un exercice intéressant, sur lequel je travaille pas mal maintenant.

Ces jours-ci sort votre coffret 'Dia', qui réunit vos trois premiers albums, pouvez-vous retracer la genèse de cette œuvre ?

C'est dix ans de travail. Trois albums qui vont vraiment ensemble. Sur le premier, 'Diasporas', j'exposais ma musique. 'Diachronism', le deuxième, est un double-album laboratoire. C'est celui qui a été le moins compris mais je pense que c'est celui qui restera le plus longtemps...

Votre premier disque est plus traditionnel, plus minimaliste, 'Diachronism' est plus électro...

Oui il est assez électro, hip-hop même. Il part dans tous les sens en fait. Mais je ne dirais pas que le premier était plus traditionnel. Il y avait déjà pas mal d'électronique. Tout était juste un peu plus timide. Le troisième, 'Diagnostic', est un peu plus écrit, un peu plus serein. Au final, ces trois disques constituent un seul et même objet. « Dia » signifie en grec « à travers ». 'Diasporas' représente les peuples à travers l'espace. 'Diachronism' est un terme que l'on utilise en géologie, l'étude des couches à travers le temps : c'est ma psychanalyse en définitive. 'Diagnostic', c'est le bilan : sur la  pochette de l'album, je suis couché sur la banquette de mon thérapeute.

Aujourd'hui, tout à l'air de se passer au mieux, avec un concert fin avril 2013 à la salle Pleyel, entouré de grands musiciens new-yorkais...

Il y a plus de dix ans, on a poussé les portes de toutes les maisons de disques, Universal, Naïve, etc. Personne ne voulait de mon premier album. Du coup, je me suis lancé en autoproduction. Ce n'était pas gagné. Aujourd'hui je suis très content qu'on s'en soit sortis avec ces quatre albums qui ont plus vendu que bon nombre de disques promus par des majors : c'est un espoir pour toutes les autoprods.

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