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Jean Dujardin : "The Artist" en interview

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Devant le gigantesque carton de ‘The Artist’ (trop beau, trop grand, trop fort !), nos sentiments se trouvent, étrangement, légèrement confus. Un peu comme si on découvrait que David Bowie était, en fait, notre voisin de palier. Démêlons donc tout ça…

Déjà, il y a évidemment le plaisir de constater le succès planétaire d’un film muet, en noir et blanc, à l’heure où l’on nous bassine avec une 3D tape-à-l’œil (et souvent superflue) et des effets sonores à faire passer ‘La Chevauchée des Walkyries’ pour une berceuse d’Arvö Part. Voilà qui, au-delà de tout chauvinisme, semble vraiment réjouissant : la surenchère technique n’est en rien nécessaire, ‘The Artist’ en est la preuve, et c’est plutôt cool. Et puis, il y a aussi l’immédiate sympathie que suscite Jean Dujardin, et l’intelligente sensibilité d’un comédien effectivement plein de ressources.

En même temps, côté français, on connaît quand même ce potentiel comique depuis des lustres, à travers la mini-série ‘Un gars, une fille’. Depuis, on a suivi Jean Dujardin dans des films un peu inégaux, entre ‘Brice de Nice’ (pochade enfantine pas franchement mémorable) et les parodies plus réussies de l’agent OSS 117… Bref, Dujardin était un type à l’humour généreux, un peu dilettante et bon vivant, qu’on imaginait comme un bon pote avec lequel boire des coups, mais pas tout à fait comme le nouveau Robert de Niro… jusqu’à ‘The Artist’, donc.

Seulement, passée la découverte du film, et après Cannes, les Golden Globes, les Goya, les BAFTA, les Césars, les Oscars, la sortie du film ‘Les Infidèles’ – avec la polémique autour de la censure débile de ses affiches – et plusieurs semaines d’articles en boucle sur ‘The Artist’ (dont celui-ci, me direz-vous), on risquait quand même de frôler l’overdose.

Pourtant, malgré tout, Dujardin nous semble toujours aussi sympathique au moment même où son omniprésence pourrait le rendre agaçant. Question de distance, de décontraction, d’élégance. Au fond, un type bluffant. Avec ou sans moustache. Comme le confirme notre journaliste Trevor Johnston, qui l’a rencontré récemment à Londres.

Dujardin est assez malin pour ne pas en faire des tonnes. Ce jour-là, dans la suite d'un hôtel londonien, nous le retrouvons mal rasé, vêtu simplement, nous offrant un visage bien différent de celui de George Valentin, l'icône fringante – et fictive – du cinéma muet qu'il a incarnée à l'écran. Amusant paradoxe, lui qui voit si délibérément son personnage comme une star de cinéma old school, un brin démodée, ne s’attendait vraiment pas à se retrouver au centre du paysage hollywoodien. Mais attention, l'acteur de 39 ans sait garder la tête froide : « Tous ces gens parlent et parlent comme si je n'étais pas dans la pièce ! Ils m'expliquent que le monde est à portée de mains et qu'il ne me reste plus qu'à le saisir, mais... je ne sais pas, je ne suis pas sûr d'être assez mégalo pour tout ça. »

Dans les 40 minutes qui suivent, il devient évident que ce n'est pas le manque d'ambition qui génère de tels commentaires mais au contraire un dévouement sincère à son métier, une forte tendance à l'auto-analyse et la conscience de sa chance. « En France, les opportunités sont déjà nombreuses. Peut-être que l’on va me proposer de jouer dans des films aux Etats-Unis – ou ailleurs – mais je vis bien, mes enfants sont heureux et, sans fausse modestie, je n'ai pas vraiment besoin de plus. »

Avec ‘The Artist’, le scénariste et réalisateur Michel Hazanavicius a su livrer un film intelligent, jouant sur la forme et la réinterprétation du « vintage » avec beaucoup d'affection, mais ce qui en fait surtout une vraie réussite est le casting magique que forment Dujardin et l'actrice principale Bérénice Bejo, dans le rôle de la figurante qui tombe amoureuse de l'acteur célèbre. « L'histoire, plus que le personnage, a toujours été au centre du film » explique Dujardin. « En ce qui concerne mes références, je connaissais Chaplin et Keaton, mais le grand choc pour moi a été de découvrir de superbes films muets, des drames comme ‘L’Aurore’ de Murnau, ou ‘La Foule’ de King Vidor, qui dégagent quelque chose de plus minimal, de très pur, notamment dans les interprétations. Le personnage de Valentin est inspiré de Douglas Fairbanks, qui fut très heureux de toujours réinterpréter le même rôle, se contentant de la même pantomime encore et encore. C'était agréable de découvrir ce type d'acteurs muets, qui a contribué à démocratiser le cinéma en touchant un nouveau public. »

Reconnaissant avoir été surpris par l'engouement des réactions suscitées par ‘The Artist’, Dujardin ne donne pas l'impression de se laisser piéger par le battage médiatique. « Je ne me suis jamais senti concerné par les étiquettes que les gens veulent mettre sur vous », estime-t-il. « Ce que je pense de moi m'importe davantage, et je suis très dur envers moi-même. J'ai besoin d'être fier de ce que je fais et je travaille dur pour cela. J'ai eu une éducation très chrétienne... beaucoup de culpabilité. Une bonne chose au fond, qui vous empêche de perdre la tête. »

« C'est assez prétentieux, n'est-ce pas ? L'idée que le public va s'intéresser à vous pendant une heure et demie… Focalisez-vous là-dessus et c'est l'angoisse qui prend le relais. Je suis plus heureux sur un tournage, parce que je ne suis pas moi-même. Je suis quelqu'un d'autre. La moustache, le smoking…. Ce n'est plus moi. Vous pouvez être double et c'est libérateur. Imaginez-vous être coincé avec vous-même, tous ces doutes... »

Mais derrière l'insouciance se cache à l’évidence une force d’introspection assez complexe. Quelque chose qui, comme je le lui suggère, n'est finalement pas rare chez les acteurs comiques. Steve Martin, par exemple... « Oui. Jim Carrey aussi », poursuit-il, sans évoquer pour autant la moindre comparaison. « J'imagine que nous sommes tous très chanceux de faire un métier qui nous permet de devenir quelqu'un d'autre pendant deux ou trois mois sur un tournage. Au fond, c’est apaisant. Vachement agréable. »

Toutes ces confidences me sont faites avec une bonhomie assez désarmante, mais au moment où je mentionne une interview dans laquelle il admettait voir un psy, il ne manque pas d'en vérifier la source. « C'est quand même drôle, j'ai vu le gars deux fois, puis il a dû admettre qu'il ne pouvait rien faire pour moi. "Vous parviendrez à régler ça", m'a-t-il dit. Cela m'a conforté dans l'idée que mes problèmes n'étaient pas si graves. Il m'a même récemment envoyé une ordonnance sur laquelle était inscrit "Bravo l'Artiste !" » De toute façon, quel que soit l'endroit où tout cela le mène à l'avenir, il ne fait aucun doute que Jean Dujardin a bien la tête sur les épaules…

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