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Victor Kossakovski
© Serguei Ivanov

Interview • Victor Kossakovski

Rencontre avec le réalisateur de 'Vivan las antipodas !', documentaire poétique et voyageur, en salles le 6 mars

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Après avoir sillonné la planète pour en filmer huit lieux opposés (Argentine et Chine, Botswana et Hawaï, Nouvelle-Zélande et Espagne, Chili et Russie), Victor Kossakovski livre avec 'Vivan las antipodas !' (lire notre critique ici) un documentaire contemplatif et songeur – comme une réponse poétique à l'Alice de Lewis Carroll, qui s'interrogeait : « Je me demande si je vais traverser la Terre. Ce serait drôle d'arriver parmi ces gens qui marchent la tête en bas ! »

Time Out Paris : Comment vous est venue cette idée de parcourir le globe, en partant de lieux diamétralement opposés ?
Victor Kossakovski : C'est une idée que j'ai dû avoir en tête pendant une bonne trentaine d'années... mais je me souviens encore de la première fois qu'elle m'a traversé l'esprit ! A 20 ans, j'étais en voyage au pôle Nord, comme assistant caméraman, pour filmer des scientifiques étudiant la banquise. Le voyage était assez long et éprouvant. Nous étions sur un bateau brise-glace, pendant des jours et des jours, et l'un des scientifiques – qui, je me souviens, faisait aussi office de cuisinier – parlait très souvent de sa femme qui, malheureusement pour lui, avait également été envoyée en expédition... mais au pôle Sud ! J'ai trouvé ça assez poétique, cette correspondance entre les points opposés du globe... Des années plus tard, alors que je voyageais en Argentine, je suis tombé sur un pêcheur, au crépuscule. Pour engager la conversation, je lui ai demandé si ça mordait. Mais lui m'a simplement répondu qu'au bout de sa ligne, il y avait la Chine... C'est ce qui m'a poussé à creuser davantage cette idée des antipodes.

Comment s'est déroulé le tournage ? Avez-vous procédé selon un ordre précis ?
J'ai d'abord traversé le monde d'un antipode à l'autre, à la recherche d'endroits intéressants à filmer. J'avais ainsi déjà fait trois tours de la planète avant de commencer à tourner, d'abord seul, puis avec une petite équipe. Assez vite, des correspondances ont commencé à émerger d'elles-mêmes. Par exemple, en Afrique, un éléphant s'est approché très près de moi, alors que je ne m'y attendais pas du tout. Puis, arrivé à Hawaï, la croûte de lave des volcans m'a immédiatement refait penser à la peau du pachyderme, de même que cette baleine échouée en Nouvelle-Zélande... Des correspondances visuelles se sont ainsi imposées à moi, instinctivement. Un peu comme si ma caméra était guidée par une sorte de dieu du cinéma, bienveillant à mon égard.

Cette immédiateté rappelle assez le cinéma direct d'un Dziga Vertov... Et en même temps, le montage de votre film, à la recherche de contrastes ou d'analogies, pourrait évoquer les théories d'Eisenstein... Comment vous situeriez-vous par rapport à la tradition ou aux grands repères du cinéma russe ?
Déjà, l'idée qu'on puisse faire de la poésie avec une caméra est profondément ancrée dans la pensée russe, sans doute davantage qu'en Europe de l'Ouest ou aux Etats-Unis. Pourtant, je me dis souvent que l'âme slave est trop sérieuse... Si vous voulez, l'idéal pour moi serait de trouver une sorte de combinaison entre l'énergie et l'humour de Chaplin et le langage cinématographique de Tarkovski. Parce que Tarkovski est sans aucun doute le plus grand cinéaste qui ait jamais existé... mais il n'est pas vraiment drôle ! Il représente le plus haut niveau du cinéma russe – et, je crois même, du cinéma tout court – mais il paraît hélas trop ésotérique pour le grand public. J'aimerais beaucoup essayer de trouver cet équilibre dans mon prochain film. Ce serait un bon défi à prendre comme point de départ.

En termes de budget, 'Vivan las antipodas !' a-t-il été difficile à mettre en place ?
A cause des voyages, le film était un peu plus cher qu'un documentaire habituel, certes, mais avec une idée aussi simple et efficace, il s'est révélé plus facile à monter financièrement que je l'imaginais. En fait, le plus difficile, c'est maintenant de le montrer, le distribuer, le faire connaître. Car il s'agit véritablement d'un film de cinéma, très visuel, qui perdrait une grande partie de son intérêt à être vu sur une télé ou un écran d'ordinateur. 'Vivan las antipodas !' a souvent été projeté en festivals, pour des professionnels, mais c'est avec le grand public que j'aimerais le partager : le film s'adresse à ce qu'il y a de plus simplement humain et terrestre en nous.

D'ailleurs, en marge des hommes, votre documentaire s'attache aussi énormément à la nature, aux animaux, à la géologie...
Effectivement, je ne suis pas sûr que, sur le plan de l'existence, les humains soient plus importants que les pierres, les volcans, les animaux ou les plantes. Au fond, tourner un documentaire est une question de hasard. Il faut savoir provoquer la chance... mais aussi être patient, tenir bon jusqu'à parvenir à capter un moment de grâce, qui peut autant venir de l'inanimé, des paysages, que des activités humaines. Vous savez, je crois vraiment à un dieu du cinéma. Et j'aime penser qu'il m'aime bien... Ainsi, lorsque je suis arrivé sur cette plage de Nouvelle-Zélande, on m'a annoncé qu'une baleine venait de s'échouer, alors que les habitants du coin n'en avaient pas vu depuis vingt-deux ans ! Comme si elle avait attendu mon film...

Avez-vous l'intention de poursuivre l'expérience avec d'autres projets de cinéma géographique ?
J'aimerais beaucoup réaliser une comédie sur la manière dont l'homme affecte la planète. Et pas seulement pour critiquer les ravages de la pollution : cela a déjà été fait un nombre incalculable de fois sans que ça change grand-chose. J'aimerais plutôt tenter d'envisager cela en montrant avec humour l'absurdité du comportement de l'homme vis-à-vis de sa planète. C'est peut-être ainsi que j'arriverai à me situer, idéalement, entre Chaplin et Tarkovski. Mais enfin, ça fait du pain sur la planche !

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