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Isabelle Huppert dans Violette Nozière de Claude Chabrol
Isabelle Huppert dans Violette Nozière de Claude Chabrol

Isabelle Huppert : portrait d'une actrice totalement libre

Retour sur la carrière d'une actrice hors norme

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Alors qu’en ce moment, Arte a décidé de consacrer tout un cycle à Isabelle Huppert – avec notamment la diffusion du super docu Isabelle Huppert, message personnel, sorte d’autoportrait sur fond de réflexions sur le cinéma – Time Out en profite pour dépeindre cette grande dame, considérée comme l’une des meilleures actrices du monde. Sauf que pour être honnête, le raccourci (pratique mais simpliste), consistant à dire d'une actrice qu'elle est « la meilleure » - comme une publicité vantant la qualité d'une paire de grolles ou d'une marque de saucisson -, ça ne fonctionne absolument pas avec Huppert ! Une comédienne si singulière qu'elle semble tout simplement hors catégorie. Incomparable. En revanche, de toutes les actrices, on pourrait sans doute dire qu'Isabelle Huppert est la plus libre - avec ce que cela implique de courage et, surtout, d'exigence vis-à-vis des autres et de soi-même. 

 

L'adolescence émancipée des seventies

A 21 ans, Isabelle Huppert apparaît dans Les Valseuses (1974) de Bertrand Blier, en adolescente rebelle qui envoie violemment chier ses parents, avant de transformer en quatuor le trio érotique formé par Miou-Miou, Depardieu et Dewaere, lors d'une séquence mémorable et pleine de délicatesse. On la croise alors également chez Yves Boisset, en jeune campeuse se baignant nue avant d'être violée et assassinée par Jean Carmet dans Dupont Lajoie. Aussi, même si Huppert s'illustre d'abord dans des seconds rôles, c'est déjà avec un mélange détonnant d'insolence et de distance, d'innocence et de prise de risque, tour à tour froide et sensuelle. Eros et Thanatos, en permanence à ses côtés.

En 1977, Claude Goretta, ancien collaborateur d'Alain Tanner, lui offre son premier grand rôle dans La Dentellière. Mais c'est l'année suivante qu'Isabelle Huppert rencontre Claude Chabrol, cinéaste auquel son nom restera éternellement associé, pour Violette Nozière. Inspiré de l'histoire vraie d'une jeune femme se prostituant pour échapper à la mentalité rance de ses parents - avant de tenter de les empoisonner, quand même -, le film vaut à l'actrice le prix d'interprétation à Cannes en 1978 et une nomination aux Césars. Là encore, l'image que ses rôles donnent d'Isabelle Huppert paraît celle d'une rebelle au sang froid, post-adolescente quasi-nietzschéenne, « par-delà le bien et le mal ».

Consécration dès les années 1980

André Téchiné en 1979 (pour Les Sœurs Brontë, avec Isabelle Adjani), puis Jean-Luc Godard - pour son grand retour au cinéma avec Sauve qui peut (la vie) - l'année suivante et Loulou de Maurice Pialat aux côtés de Gérard Depardieu : 1980 commence sur les chapeaux de roues pour Huppert, qui s'offre même une belle escapade américaine avec La Porte du paradis de Michael Cimino. A l'époque, le film est un fiasco, mais le temps donnera finalement raison à ce western crépusculaire, malade et détraqué, en avance sur son temps.

Courtisane dans La Dame aux camélias de Mauro Bolognini ou jeune femme provocante dans Coup de torchon de Bertrand Tavernier en 1981, ouvrière militante dans Passion de Jean-Luc Godard (à nouveau) en 1982 : Isabelle Huppert enchaîne les rôles de femmes fortes, insoumises, jouant de ses charmes pour dynamiter ou subvertir tous les statu quo sociaux, amoureux ou sexuels. Voire religieux, avec ce fameux monologue d'Une affaire de femmes de Chabrol en 1988, où la « faiseuse d'anges » qu'elle incarne blasphème, larmes aux yeux : « Je vous salue Marie, pleine de merde. Le fruit de vos entrailles est pourri. »

Fidélité et internationalisme

Au début des années 1990, Isabelle Huppert n'a même pas 40 ans, mais elle semble déjà voir le cinéma français à ses pieds. Deux tendances se dessinent alors dans sa carrière. En France, son rythme de tournage ralentit et l'actrice reste surtout fidèle à ses réalisateurs fétiches : Claude Chabrol (Madame Bovary en 1991, La Cérémonie en 1995, Rien ne va plus en 1997) et Benoît Jacquot (L'Ecole de la chair, Pas de scandale et La Fausse Suivante, entre 1998 et 2000). Traçant son sillon, Huppert creuse le registre tour à tour choquant et innocent qui lui colle désormais à la peau, notamment dans l'impressionnant La Cérémonie de Chabrol - qui reste l'un des films les plus puissants du cinéaste, pour lequel Isabelle Huppert se verra récompensée d'un César en 1996.

Parallèlement, au cours de cette même décennie, Huppert voyage dans le cinéma mondial : aux côtés du New-Yorkais Hal Hartley (Amateur en 1994), de l'Ukrainien Igor Minaiev (L'Inondation, 1994), de l'Allemand Werner Schroeter (Malina en 1991, Poussières d'amour en 1996), des Italiens Paolo et Vittorio Taviani (Les Affinités électives, 1996) et de l'Iranien Abbas Kiarostami, avec le court métrage Lumière et compagnie en 1995. 

Depuis 2000 : une liberté sans compromis

Toujours proche de Claude Chabrol, Werner Schroeter et Benoît Jacquot, Isabelle Huppert entame au début des années 2000 ses collaborations avec Raoul Ruiz (Comédie de l'innocence en 2001), François Ozon (Huit femmes), Christophe Honoré (Ma Mère, en 2004, avec Louis Garrel et d'après Georges Bataille), Claire Denis (White Material en 2009) et, surtout, l'Autrichien Michael Haneke, dont elle deviendra l'actrice avec un grand A, que ce soit dans La Pianiste en 2001 (à nouveau prix d'interprétation à Cannes) ou Le Temps du loup en 2003 . Excellant toujours davantage dans des rôles intenses où règne la sexualité la plus torturée, Huppert réussit à ne jamais verser dans le scabreux. Même dans les rôles les plus trash, elle reste d'une classe incroyable. Et, partant, incroyablement perturbante. 

Alors qu'on aurait alors pu imaginer Huppert blasée, son rythme de tournage n'a jamais été aussi intense qu'au cours des dernières années. Depuis 2010, l'actrice livre ainsi pas moins de trois ou quatre films en moyenne par an. Des comédies formalistes de Hong Sang-soo (In Another Country) aux méta-films de Guillaume Nicloux (La Religieuse, Valley of Love où elle retrouve Gérard Depardieu), en passant par Catherine Breillat (Abus de faiblesse aux côtés de Kool Shen), Marco Bellocchio (La Belle Endormie) ou Brillante Mendoza (Captive), Huppert est partout, sur tous les continents, toujours elle-même et toujours autre.

Qu'elle vampirise le dernier film de Pascal Bonitzer avec un simple second rôle, ou qu'elle sado-masochise le genre burlesque dans Tip Top de Serge Bozon, Isabelle Huppert joue avec son image, portant sur ses frêles épaules une carrière immense avec une légèreté gracile, parfois enfantine. Et c'est sans doute ce qui a fait d'elle l'actrice idéale pour le film de Paul Verhoeven, Elle, qu'elle seule, sans doute, pouvait interpréter avec une forme de justesse incroyable - là où toute autre actrice aurait probablement versé dans le graveleux.

Un énième sommet, en somme, pour une carrière qui ressemble déjà à l'Himalaya, et qui n'est décidément pas prête de s'arrêter :  rien que ces dernières années, on a eu le droit à Huppert dans le Happy End de Michael Haneke, Madame Hyde de Serge Bozon, le long métrage d’Anne Fontaine (Blanche Comme Neige) ou encore, plus surprenant, La Daronne de Jean-Paul Salomé, comédie où elle joue… une trafiquante de drogue ! Isabelle Huppert, plus grande actrice du monde ? Eh bien oui, finalement. Un vrai grand oui ! Au moins pour nous.

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